NFT dans les jeux vidéo : technologie délétère, bulle spéculative, tout est à jeter

Il y a beaucoup à dire sur les « crypto-monnaies » et les technologies affiliées, et beaucoup l’ont déjà fait, que cela soit sur la stabilité ou la centralisation du pouvoir (sur une technologie prétendument « décentralisée ») de ces systèmes. De même sur les NFT pour expliquer à quel point, en général, cette technologie est insensée. Ainsi, même si leur impact sur l’environnement pouvait par magie être réduit par une imaginaire nouvelle méthode de consensus, il y a largement de quoi remettre en cause ces technologies.

Mais restons dans le domaine du jeu vidéo, qui nous intéresse ici. Il y a une « ruée vers l’or virtuel » de beaucoup d’entreprises du jeu vidéo sur les NFT. Leurs annonces à ce propos sont souvent acclamées par des investisseurs et autres « crypto-enthousiastes » qui n’ont que très peu à voir avec le jeu vidéo (et ne semblent, du reste, pas y comprendre grand chose). Dans les jeux vidéo comme ailleurs, la seule raison pour laquelle on parle des NFT, ce n’est pas pour leur valeur intrinsèque, mais pour leur valeur marchande. En s’inspirant du marché de l’art et de ses très nombreuses dérives, cette technologie se place d’emblée sous des auspices peu favorables.

Q: Les NFT dans les jeux, pourquoi faire ? A: Rien

Pour résumer le contenu des liens ci-dessus, blockchain et NFT sont des technologies en recherche de problèmes à résoudre, plutôt que de résoudre des problèmes existants. C’est un très mauvais point de départ, allant complètement à l’encontre des concepts de design et d’ingénierie. Quand on n’a qu’un marteau, tout ressemble à un clou.

Cette situation est d’autant plus évidente et déplorable quand les propriétés tant vantées par les promoteurs de NFT dans les jeux sont déjà réalisables, et existent déjà, sans blockchain ni NFT. Sans surprise, ces usages sont déjà délétères même avec des technologies « conventionnelles ».

  • Des objets uniques, avec des propriétés diverses et variées ? Team Fortress 2 le fait depuis plus de 10 ans, avec échanges possibles au sein de la plateforme Steam.
  • Des objets qui s’échangent contre de l’argent réel ? Counter-Strike: Global Offensive a prouvé que c’était possible, non sans créer au passage un système de blanchiment d’argent.
  • Obtenir des objets « en échange » de son temps de jeu (play-to-earn) ? Les MMORPG et autres gacha games en ont fait leur raison d’être, bien avant qu’on parle de NFT.
  • Vous voulez les revendre ? Diablo 3 l’avait fait, avec les problèmes qu’on connait, Blizzard ayant fini par retirer cette fonctionnalité.
  • Vous voulez gagner de l’argent en proposant une expérience de jeu sur votre plateforme préférée ? Roblox le fait sans blockchain non plus, à condition de bien vouloir soutenir l’exploitation d’enfants, et la censure

Pire que ça : jusqu’ici, nous parlions des NFT « en théorie ». Mais, en pratique, les entreprises de jeux vidéo n’ont et n’auront aucune envie de fournir des NFT « clef en main » et libres d’usage. On peut par exemple voir dans les conditions d’usage de Quartz, les NFT à la sauce Ubisoft, que « vous n’avez pas le droit de modifier la Représentation Visuelle [du NFT] de quelque manière que ce soit […], d’utiliser la Représentation Visuelle [du NFT] dans des vidéos ou toute autre forme de média ». Preuve que, quoi que puisse prétendre le monstre français, l’usage de ces NFT ne vous appartient pas.

Au passage, on pourra aussi y noter cette formule extrêmement charitable : « Ubisoft n’est pas responsable envers vous ou envers un tiers pour toute réclamation ou tout dommage pouvant survenir à la suite de toute utilisation du réseau blockchain Tezos, des paiements ou des transactions que vous effectuez ». Autrement dit, bon courage s’il vous arrive un quelconque problème car Ubisoft ne vous aidera pas.

Un NFT est donc une référence à un objet utilisable dans un écosystème fermé, dont l’existence et l’utilité (et donc la valeur) restent subordonnées au bon vouloir de l’opérateur du-dit écosystème (l’entreprise qui édite le jeu). Pour qu’il soit utilisable n’importe où ailleurs, il faudrait non seulement l’accord de l’entreprise éditrice du NFT, mais aussi qu’une autre entreprise veuille bien l’intégrer dans ses jeux sans aucun gain notable pour elle.

Or, comme on le sait, les entreprises du jeu vidéo sont l’exact opposé de parangons de vertu ou d’œuvres désintéressées ; les rémunérations de leurs dirigeants suffisant à s’en convaincre. Vous avez pesté contre les lootboxes, les jeux « vendus en kit » avec des dizaines de DLC et autres season pass ? Ne croyez pas un seul instant que ces mêmes entreprises vous feront le moindre cadeau sur les NFT. Elles vous expliqueront juste que vous n’avez pas bien compris.

Pourquoi donc cet empressement à mettre des NFT dans les jeux ?

Les raisons qui mènent à intégrer cette technologie sont variées, mais évacuons tout de suite la plus évidente : il y a, depuis quelques temps, une bulle spéculative complètement déchaînée autour de « la blockchain » et des NFT. C’est la raison pour laquelle des entreprises n’ayant rien à voir avec ce champ technique se sont retrouvées à se vanter d’avoir « leurs » NFT, quitte à en essuyer les plâtres. C’est avant tout un effet de manche promotionnel des entreprises vis-à-vis des fonds d’investissements, une tentative pathétique d’appâter des personnes qui s’y connaissent encore moins techniquement que nos dirigeant‧es (ce qui ne doit pas toujours être facile à trouver).

La deuxième raison, plus fondamentalement vicieuse, est une financiarisation du jeu qui ne dit pas son nom. Introduire des NFT dans un jeu vidéo, c’est y permettre des échanges monétisés, en crypto-monnaies-de-singe, sans devoir en assumer les conséquences. En effet, en cas de problème de transaction, d’erreur, de vol ou d’arnaque, l’éditeur du jeu vidéo pourra se dédouaner de toute responsabilité en se réfugiant derrière l’argument « tout est dans la blockchain, le code ne ment pas ! ». Cela n’empêchera absolument pas ces mêmes éditeurs de promouvoir ce modèle « play-to-earn » et des possibilités fumeuses d’en retirer un bénéfice financier.

S’ils assumaient leur rôle de garant de ce marché, ce qu’ils sont factuellement, ces éditeurs devraient alors offrir les mêmes garanties que les banques, comme par exemple être en capacité de vous verser l’argent que vous stockez chez eux, assurer la validité et la traçabilité des transactions sur leurs plateformes. Étonnamment, les entreprises ne se bousculent pas au portillon quand il s’agit de mettre en jeu leur responsabilité et de déployer des garanties coûteuses !

Rareté artificielle, valeur illusoire

Ce sujet de la financiarisation est crucial. Nos vies de tous les jours sont sans cesse affectées par l’impact de marchés de moins en moins corrélés au monde réel. Que ce soit la crise des subprimes de 2008, les différentes bulles spéculatives (dont les crypto-monnaies pourraient très bien être la prochaine à éclater), les vies sacrifiées pendant la pandémie de COVID-19 au nom de la sacro-sainte économie : il est temps d’arrêter le massacre, dans les jeux vidéo comme ailleurs.

Il est naturel de voir le fonctionnement de l’économie, les profits proprement révoltants que font les plus riches alors que beaucoup tombent dans la pauvreté, et d’en conclure que ce système ne tourne pas rond. Mais la réponse et la solution ne consistent pas à se dire « en fait, ce qui manque, c’est la possibilité pour moi aussi d’exploiter les autres ». La solution n’est pas de reproduire la rareté du « monde réel » de façon purement artificielle dans nos espaces numériques, mais son exact opposé : amener l’abondance pour toutes et tous dans nos sociétés physiques.

Brisons nos (block)chaînes

Les NFT ne sont pas juste une mauvaise solution à un problème qui n’existe pas et que personne ne s’est réellement posé, ils sont aussi un symbole de plus de ce fonctionnement délétère d’économies tellement avides de profits qu’elles cherchent à monétiser l’inexistant. Ne tombons pas dans ce piège !

Le Syndicat des Travailleurs et Travailleuses du Jeu Vidéo, dont un des buts est d’extraire la production de jeu vidéo du cercle capitaliste infernal dans laquelle elle se trouve, s’oppose donc à l’utilisation de ces technologies dans le jeu vidéo. Il faut que les jeux vidéo cessent d’êtres des casinos permettant aux studios et éditeurs d’exploiter les plus fragiles et les plus jeunes d’entre nous. C’est une revendication qui vise autant à protéger notre capacité à produire des œuvres de qualité, qu’à protéger les joueuses et joueurs qui souhaitent prendre du plaisir en les découvrant.

Le STJV soutient néanmoins les travailleur‧ses forcé‧es par leurs entreprises de travailler sur ces technologies, ou leur équivalent déjà existant comme les lootbox, et soutiendra toute lutte visant à faire cesser leur utilisation. Vous n’êtes pas responsables de l’appétit financier insatiable de vos patron‧nes.

Pour avancer sur les problèmes des écoles, des changements doivent avoir lieu à tous les niveaux

Cet article est une sous-partie d’un grand dossier sur les études de jeu vidéo publié par le STJV. Vous retrouverez le sommaire de ce dossier, et les liens vers toutes ses parties, ici : https://www.stjv.fr/2021/09/dossier-sur-les-etudes-de-jeu-video/

En attendant des actions extérieures et l’imposition de réaction systémiques, il faut parfois prendre les choses en main soi-même. En effet, des étudiant‧es ou professeur‧es faisant face directement à des discriminations, du harcèlement, des problèmes de santé causés par leurs conditions d’études ou de travail ont besoin d’actions immédiates, et ne peuvent pas attendre des changements à plus grande échelle. Pour cela, il existe différent leviers permettant de forcer les écoles à respecter la loi, leurs professeur‧es et leurs étudiant‧es.

Rappelons que les élèves d’un organisme de formation privé sont les consommateur‧ices des services prodigués par l’entreprise derrière cet organisme. Les contrats passés avec les écoles, qui sont souvent intégrés ou même confondus avec les dossiers d’inscription, tombent évidemment sous le coup du droit, principalement du droit de la consommation. Les écoles doivent en respecter les clauses. En particulier, les écoles doivent fournir un plan des cours qui seront suivis. Si les cours dispensés ne correspondent pas à celui-ci, ou s’ils ne sont pas assurés, l’école peut être poursuivie.

De plus, comme dit précédemment, les discriminations et le harcèlement sont déjà punis par la loi. Des professeur‧es, du personnels administratifs, des représentants de l’école qui discriminent ou harcèlent des étudiant‧es peuvent également être poursuivis, et dans de nombreux cas l’établissement qui a laissé ces agissements avoir lieu peut l’être également.

Nous expliquions dans la première partie de ce dossier que les écoles dépendent économiquement de leur image publique, et ce de manière disproportionnée. D’un côté source de nombreux problèmes, et une des causes principales de la répression exercée par les écoles sur la liberté d’expression des étudiant‧es, cette dépendance est aussi une faiblesse. Les écoles craignent de voir leurs fautes exposées publiquement, ce qui donne un moyen de pression relativement puissant aux victimes de leurs (in)actions. Demander des comptes et poser des questions aux journées portes ouvertes, sur les salons, dans les réunions que les écoles peuvent avoir avec les parents, élèves, délégué‧es étudiant‧es, peut aussi rentrer dans ce genre de tactique.

Quel que soit le moyen choisi, agir et s’exposer seul‧e est toujours risqué, matériellement, psychologiquement ou socialement. Nous conseillons très vivement de ne pas faire les choses dans son coin et, selon la situation, de se rapprocher de syndicats, associations de consommateur‧ices, avocat‧es, etc. De la même manière, il est toujours utile de communiquer avec ses collègues, camarades d’études, connaissances externes, autres parents d’élèves… S’avertir mutuellement, discuter ensemble de nos problèmes, regrouper les différentes expertises, expériences et moyens, donne la possibilité de faire plus, et mieux, que seul‧e.

Beaucoup de solutions proposées aux problèmes des études de jeu vidéo sont des impasses ou des mensonges

Cet article est une sous-partie d’un grand dossier sur les études de jeu vidéo publié par le STJV. Vous retrouverez le sommaire de ce dossier, et les liens vers toutes ses parties, ici : https://www.stjv.fr/2021/09/dossier-sur-les-etudes-de-jeu-video/

Si les écoles sont souvent les premières responsables des problèmes rencontrés, elles sont loin d’être les dernières à tenter d’y apporter des solutions. Bien conscientes des risques économiques liées à une perte de réputation publique — ou pour les membres des directions, les risques pour leur carrière — elles ont depuis longtemps trouvé des leviers permettant de s’en protéger.

Le premier d’entre eux, dont nous avons parlé tout au long de la première partie de ce dossier, est bien entendu la répression. Le « meilleur » moyen de protéger sa réputation est d’empêcher l’expression de tout fait ou opinion qui pourrait l’entacher. Intimidation d’étudiant‧es, notamment via des règlements intérieurs contrevenants aux libertés fondamentales, licenciements et renvois illégaux de personnes considérées comme nuisibles, recours à des agences de gestion de la communication de crise pour allumer des contre-feux et enterrer l’information, procès baillons … le champ d’action en ce sens est malheureusement large et fortement employé.

Ces points sont ceux contre lesquels les organisations de travailleur‧ses et étudiant‧es, tel que le STJV, luttent quotidiennement dans leurs actions : nos buts sont d’empêcher les entreprises (et donc les écoles) d’abuser de leur pouvoir, de créer un contre-pouvoir bénéficiant à tous les travailleur‧ses, actuel‧les et futur‧es, protégeant les lanceur‧ses d’alerte et, à terme, de donner tout le pouvoir aux travailleur‧ses.

Parmi les acteurs extérieurs du contrôle des formations privées, on retrouve également l’État. Par les mécaniques de subventions des écoles mais aussi, et surtout, par son système de certification des diplômes via le Répertoire National des Certifications Professionnelles (RNCP). Ces certifications sont très importantes, car un diplôme non reconnu par l’État ne « compte pas » administrativement, ce qui a de nombreuses répercussions :

  • sans crédits ECTS, il est très difficile d’obtenir des équivalences afin de poursuivre ses études ailleurs, que cela soit dans le public ou à l’étranger ;
  • certaines aides d’État sont conditionnés à la validation d’un niveau d’étude reconnu ;
  • certaines aides CNC pour les créateur‧ices et studios de jeu vidéo indépendants nécessitent l’obtention d’un diplôme reconnu d’une petite sous-sélection d’écoles ;
  • l’obtention de visas, que cela soit en France pour y immigrer, ou à l’étranger pour y émigrer, est souvent conditionnée au niveau d’études et donc à la reconnaissance des diplômes obtenus ;
  • le statut professionnel et tout ce qui en découle (salaire, retraite, congés, etc.) peut aussi être lié au niveau d’études reconnu.

Si le contrôle des enseignements par une autorité publique externe aux entreprises d’éducation privées est utile et même nécessaire, ces certifications ne sont pas sans faille, et les écoles n’ont de cesse de chercher à les détourner ou les contourner. Les appellations de diplômes sont parfois trompeuses, à l’exemple du terme « Mastère » qui, à la différence du terme « Master », n’est pas une appellation officielle et ne garantit donc pas la qualité ni la reconnaissance du diplôme. Les certifications données peuvent ne pas correspondre à la formation, comme c’est le cas dans une école parisienne où le diplôme de Game Designer délivré a une certification RNCP de « designer interactif ». Mais elles peuvent aussi avoir expiré, malgré leur mise en avant dans la communication des écoles, faisant prendre le risque aux élèves d’obtenir un diplôme non reconnu à la sortie.

Les lobbies patronaux souhaitant au maximum éviter l’intervention de l’État dans leurs affaires, ils feignent souvent de prendre les devants sur la législation pour faire bonne figure et négocier une dérégulation de leur secteur, au nom d’une imaginaire « auto-régulation ». L’un des exemples dans l’industrie du jeu vidéo concerne les systèmes d’évaluation des jeux et de recommandations d’âges, dont la gestion par ces lobbies est partiellement responsable de l’apparition incontrôlée de mécaniques de jeu d’argent dans des productions récentes. Ceci exposant notamment des enfants à une pratique pourtant énormément contrôlée en temps normal. En ce qui concerne les études de jeu vidéo en France, cette stratégie se traduit par divers labels, dont principalement le Réseau des Formations aux Métiers du Jeu Vidéo (RFMJV, anciennement REJV, Réseau des Écoles du Jeu Vidéo).

Mais, à l’instar de tous les labels privés, celui-ci n’est qu’une façade pour faire de la communication. Il est impossible de lui faire confiance et les personnes et organisations derrière le savent très bien, allant jusqu’à, lorsqu’iels sont confrontés à son propos, faire mine de rejeter le titre de « label » et toute responsabilité qui irait avec. Dans un article de Libération d’Avril 2021, les journalistes rappellent ainsi que « les conditions d’entrée [au RFMJV] n’impliquent aucun contrôle sur le contenu de l’enseignement et le Syndicat National du Jeu Vidéo insiste auprès de nous sur le fait que ce réseau n’est en rien un label ».

Les défauts des labels ne sont pas uniquement dus aux organisations derrière ceux-ci. S’assurer d’une qualité suffisante au sein des formations représente un travail colossal, hors de portée d’acteurs privés, qui de toute façon ne permettrait que de réaliser des constats a posteriori . Il est tout simplement impossible de garantir que les informations sont à jour, véridiques ou complètes. C’est pour cela que, plutôt que de nous reposer sur des outils de communication nécessairement imparfaits, nous préférons la mise en place de systèmes empêchant que les écoles soient juges et parties, et nous assurer que les problèmes et mensonges dont nous parlons ne puissent même pas avoir lieu.

Au delà des labels, les entreprises, et donc les écoles, ont bien d’autres outils à leur disposition. Les pratiques consistant à communiquer à outrance sur le moindre petit effort, réel ou non, à reprendre à son compte les luttes de minorités tout en annihilant leur message de fond, ou à exploiter les personnes marginalisées sont malheureusement courantes. Elles sont plus connues sous des noms comme pinkwashing ou socialwashing. Inauguration d’un bâtiment accessible aux personnes à mobilité réduite quand le reste du campus ne l’est pas et ne le sera jamais, médiatisation d’une semaine de sensibilisation aux discriminations de genre quand l’école ferme les yeux sur le harcèlement sexuel qui y a lieu, interdiction du « crunch » dans un établissement laissant explicitement les salles de projet accessibles 24h24 7j/7 et surchargeant les étudiant·es… Les exemples sont nombreux. La mise en avant des 5% de choses qui vont bien vient souvent, parfois à dessein, cacher les 95% qui ne vont pas derrière.

Si l’utilité de la visibilisation des discriminations, de la représentation des personnes marginalisées et des « role models » a été démontrée, cela n’est que la partie émergée de l’iceberg, et ne saurait jamais remplacer la lutte contre les discriminations en interne et de manière systémique. Attirer les personnes marginalisées est un petit pas peu coûteux à mettre en place, empêcher les discriminations à leur encontre tout au long de leurs études et de leur carrière, qu’on en soit l’auteur‧ice ou que cela vienne de quelqu’un d’autre, nécessite bien plus d’efforts.

À ce titre, la charité est un bon exemple de dissonance entre les intentions affichées publiquement et la porté des effets réels. Par exemple, mais ce n’est pas le seul cas, la positivité des effets directs d’une bourse étudiante privée sont totalement indéniables, et on peut reconnaître la mise en lumière du problème matériel de l’accès aux études privées qui en résulte. Mais on peut aussi regretter les bien plus grands bénéfices qu’elle apporte aux entreprises de l’industrie, et aux personnes qui surfent sur l’image positive d’une telle entreprise pour se mettre en avant malgré tous les agissements qui pourraient leur être reprochés.

Nombre d’écoles et de studios ont rapidement sauté sur l’occasion pour se payer une image « humaniste », à grand renfort de dons financiers bons marché par rapport à leurs budgets annuels : leur défiscalisation signifie que 60% sera en réalité payée directement par l’Etat. Les motivations des soutiens institutionnels peuvent ainsi être sérieusement remises en cause quand on y trouve des écoles qui discriminent explicitement des étudiant‧es lors de leur sélection et continuent chaque année de gonfler le prix d’inscription, ou des entreprises qui couvrent les discriminations matérielles et personnelles qu’elles imposent à leurs employé‧es marginalisé‧es.

Ces dernières années, de nombreuses écoles ont aussi ajouté à leur arsenal de communication diverses chartes éthiques. Ces chartes consistent en une série de propositions visant à améliorer la mixité et la diversité au sein des écoles, et peuvent venir s’ajouter aux règlements intérieurs de celles-ci. Sur le papier, rien de négatif donc, et les écoles n’ont pas hésité à mettre en scène la signature des ces chartes lors d’événements importants pour l’industrie française, en présence de ministres, ou à communiquer intensivement sur leur mise en place auprès de leurs étudiant·es et lors de journées porte-ouvertes.

Sauf que ces chartes ne sont que des notes d’intention, des recommandations. Elles ne sont pas des outils qui permettent de résoudre les problèmes, seulement des outils de communication qui permettent de dire qu’on a l’intention de les résoudre. C’est pourquoi, et malheureusement sans surprise, on trouve des directions d’écoles qui ont signé une charte éthique mais continuent d’étouffer les problèmes en leur sein et de réprimer les personnes qui cherchent à les régler. Parmi les premières écoles à communiquer sur de telles chartes, certaines auraient ainsi activement protégé des élèves ou professeur·es agresseur·ses sexuel·les dans l’année qui a suivi la mise en place de leurs chartes respectives.

Les comités éthiques, dont le nom et la composition peuvent changer localement, sont une mesure phare qu’on trouve dans la majorité des chartes adoptées récemment. Quand ils sont mis en place, ils sont généralement composés d’étudiant‧es et professeur‧es volontaires et peuvent être chargés de recueillir les témoignages et plaintes, discuter des problèmes de l’école, et/ou proposer des solutions à la direction. L’existence de telles instances représentatives est une bonne nouvelle, car c’est une avancée significative dans la représentation étudiante et la démocratie en école.

Mais un certain nombre de biais demeurent, dont il faut être conscient. La composition de ces comités, nécessairement uniquement des personnes issues de l’école et mélangeant professeur‧es et étudiant‧es, peut mener à des difficultés de jugement, comme lors d’un cas récent où un comité d’éthique n’a initialement pas voulu étudier en détail des signalements vis-à-vis d’un professeur ancien et haut placé, ou encore lorsque les étudiant‧es de ces comités voient leur droit à la parole retiré (volontairement ou non), par la supériorité hiérarchique des professeur‧es sur elleux. Les membres de ces comités sont bien souvent temporaires, empêchant un suivi sur le long terme bien souvent nécessaire, et empêchant d’identifier les situations qui se répètent : peu importe les solutions pansements, les obstacles que rencontrent les personnes marginalisées sont systémiques. Mais dans la majorité des cas, le problème principal reste le manque de moyens et de pouvoir alloués à ces comités, et l’inactivité ou l’inutilité qui en résulte.

Cela constitue en réalité le problème principal derrière toutes les tentatives de résolution des problèmes. Les actions et régulations sans volonté d’allouer des moyens pour assurer leur respect et bon déroulement ne sont dans les faits que des outils de propagande et de camouflage pour le patronat (ou l’Etat, selon le type de régulation).

Comme dans quasiment tous les domaines et secteurs, il faut avant toute chose plus de moyens. Il existe déjà des lois, décrets et autres circulaires qui prennent en compte les problématiques existantes : on n’a pas besoin d’une loi (sans parler d’une charte) de plus pour (ré)interdire le viol, le harcèlement, le non-respect des contrats, l’abus de confiance, etc. Avant de parler de plus de régulation, il faudrait déjà appliquer celles qui existent déjà.

Mobilisations pour les salaires, pensions et allocations du 27 Janvier 2022 : appel à la grève dans le jeu vidéo

Depuis le début de 2021 l’inflation, en France et dans le reste de l’Europe, est dangereusement en hausse, et avec elle le coût de la vie, en particulier cette année le coût de l’énergie. Les salaires, aides sociales, retraites, allocations, etc. ne suivent pas cette inflation, conduisant à une perte générale de pouvoir d’achat. Le marché de l’emploi stagne, la mise en application des derniers éléments de la réforme de l’assurance chômage continue d’appauvrir des centaines de milliers de personnes.

Dans ce contexte de pauvreté grandissante, le dernier rapport annuel du Secours Catholique explique par exemple qu’une personne vivant en France sur 10 a demandé une aide alimentaire, et que parmi celles-ci plus d’un quart (soit près de 2 millions de personnes!) passent régulièrement une journée entière sans manger. Ces nombres sont en hausse pour la première fois depuis longtemps, et ont particulièrement augmenté chez les jeunes de moins de 25 ans.

La campagne pour les prochaines élections, présidentielle et législatives, va voir une majorité de candidat‧es réclamer la réduction de la solidarité d’état. Plutôt que perdre du temps à analyser les programmes pour savoir qui voudra bien laisser des miettes aux précaires, aux jeunes, aux retraité‧es et aux travailleur‧ses, nous devons prendre les devant et imposer des demandes claires.

Alors que, depuis 2021, les luttes locales victorieuses se multiplient pour obtenir de meilleurs salaires, une intersyndicale a appelé à une mobilisation nationale le 27 Janvier, pour demander l’augmentation des salaires du privé comme du public, des allocations pour les jeunes en formation et en recherche d’emploi, et des pensions des retraité‧es.

Dans le jeu vidéo, on constate une grande précarité des personnes en début de carrière, des statuts freelance, des postes que le patronat considère comme sacrifiables (QA, CM, etc.) et, dans le contexte de l’épidémie de Covid-19, des personnes qui travaillent dans des entreprises accueillant du public. Une proportion extrêmement grande d’entre nous connaissent ou ont connu les privations causées par les bas salaires, le chômage, la peur de ne pas (re)trouver un emploi.

Le Syndicat des Travailleurs et Travailleuses du Jeu Vidéo rejoint donc la mobilisation en appelant à la grève le 27 Janvier 2022, et appelle les travailleur‧ses, chômeur‧ses, retraité‧es et étudiant·es du jeu vidéo à se mobiliser dans leurs entreprises, dans les assemblées générales et dans les manifestations qui auront lieu partout en France. Le STJV sera officiellement présent dans plusieurs manifestations en France.

Nous rappelons que cet appel couvre le champ d’action du STJV dans le secteur privé, et concerne donc toute personne employée par une société d’édition, de distribution, de service et/ou de création de jeu vidéo ou matériel pour le jeu vidéo quel que soit son poste ou son statut et quel que soit le type de production de sa société (jeux consoles, PC, mobile, serious games, expériences VR/AR, moteurs de jeu, services marketing, consoles de jeu, streaming, etc.), ainsi que tout·es les enseignant·es travaillant dans des écoles privées dans des cursus en lien avec la production vidéoludique. Pour toutes ces personnes, et puisqu’il s’agit d’un appel national à la grève, aucune démarche n’est nécessaire pour se mettre en grève : il suffit de ne pas venir travailler les jours où vous souhaitez faire grève.

N’hésitez pas à nous contacter si vous avez des questions.

Nouvelle vague épidémique, même solutions : télétravail, isolement, vaccins

Dans un précédent communiqué, nous rappelions les dangers des choix politiques et de la communication mensongère du gouvernement autour du passe sanitaire et des vaccins contre le Covid-19, qui ne sont pas la panacée infaillible qu’iels ont essayé de nous vendre.

La réflexion sur la pandémie et la santé publique sont quasiment absentes de tous les médias, qui préfèrent tourner en boucle sur la dernière panique morale d’extrême-droite et faire campagne pour des fascistes. Après bientôt deux ans en situation de pandémie un énième variant émerge, l’épidémie reprend à des niveaux jamais atteints, et le gouvernement continue sa politique criminelle d’inaction. C’est faire comme si le Covid n’avait pas déjà fait plus de 100 000 morts en France, dont la majorité aurait pu être évitées en prenant des mesures plus volontaires plutôt qu’en vantant des solutions miracles pour privilégier les profits du capital à toutes les étapes.

Le nouveau variant particulièrement inquiétant, Omicron, pourrait venir encore empirer la situation, comme Delta avant lui. Rappelons d’ailleurs que plus la circulation du virus est élevée, plus ces mutations ont des chances d’apparaître, de tuer de nouvelles personnes et de prolonger l’épidémie. Les failles des politiques de santé publique favorisent directement leur émergence. C’est pourquoi il est absolument nécessaire de lever les brevets sur les vaccins afin de garantir un accès équitable et mondial à la vaccination, et mettre fin à la pandémie.

En ce moment même, de nombreuses entreprises du jeu vidéo tentent de formaliser leurs politiques d’accès au télétravail, en faisant généralement leur possible pour qu’il ne se démocratise pas de trop, et conserver ainsi leur contrôle sur les employé·es. Certaines ont même forcé un retour complet dans les locaux depuis plusieurs mois. Nous réclamons la mise en place massive du télétravail dans le jeu vidéo, afin que tous‧tes les travailleurs et travailleuses volontaires puissent éviter de risquer leur santé au travail et dans les transports.

Cette demande n’est ni absurde ni compliquée, les précédentes vagues ont bien montré que c’était possible. Les entreprises avaient massivement mis en place le télétravail, qui reste une solution pratique, efficace et éprouvée par plus d’un an de crise sanitaire. Les métiers du jeu vidéo, dans leur ensemble, y sont très propices, et donc il n’y a aucune excuse valide pour ne pas diminuer l’exposition des travailleur‧ses et de leurs proches à une infection.

Et si la présence physique dans les locaux est réellement nécessaire, l’application des mesures sanitaires (désinfection et aération des locaux, distanciation physique, protection par le port du masque durant toute la journée de travail) est indispensable et obligatoire. Rappelons également que des dispositifs techniques existent, et doivent être adoptés en complément des mesures individuelles : des capteurs de CO2 peuvent détecter un manque d’aération (à condition de prendre les mesures nécessaires en conséquence !), et des dispositifs de filtration de l’air (norme HEPA) sont une solution adaptée pour les lieux où l’aération n’est pas possible. Ce ne sont pas des mesures de confort, mais bien des conditions nécessaires à tout travail dans des locaux communs !

Pour les travailleurs et travailleuses, les bénéfices (réduction significative des risques pour soi et pour les autres, et à terme participation à l’éradication du virus) de la vaccination sont immenses et incontestables mais, contrairement aux mensonges colportés par certains ministres, elle ne protège pas à 100% et n’empêche pas complètement de se contaminer ou de contaminer les autres. Le vaccin n’est donc pas une solution individuelle mais collective.

Il est important que le plus grand nombre d’entre nous profite d’avoir accès à une dose de rappel (troisième pour la plupart des gens) pour se faire vacciner, non pas pour suivre aveuglément le gouvernement mais pour notre santé à toutes et à tous. Rappelons à ce sujet que la loi votée en Juillet dernier par le parlement entérine, dans son article 17, l’autorisation pour les salarié·es d’aller se faire vacciner sur les horaires de travail, sans diminution du salaire ou des droits aux congés. Il n’y a donc plus aucune excuse possible à ce niveau, et nous serons intraitables face à toute entreprise qui s’opposerait à l’exercice de ce droit.

Depuis le début, la campagne de vaccination du gouvernement favorise de manière disproportionnée les populations aisées, comme toutes ses politiques. Agissons de manière autonome pour construire une couverture vaccinale capable de protéger tou‧tes les travailleur‧ses !

Pour construire la solidarité et l’entraide nécessaire pour faire face à la pandémie, continuons ensemble à :

  • nous vacciner et faire les rappels nécessaires ;
  • inciter nos proches à se faire vacciner ;
  • aider les personnes qui souffrent de la nature discriminatoire de l’accès aux rendez-vous de vaccination à les prendre ;
  • rappeler et réclamer la stricte application des gestes barrières et autres mesures sanitaires, dans notre vie quotidienne et au travail ;
  • nous isoler et nous faire tester, dans la mesure du possible, au moindre symptôme ou doute.

Les écoles se mettent au service de l’industrie, et non des étudiant‧es

Cet article est une sous-partie d’un grand dossier sur les études de jeu vidéo publié par le STJV. Vous retrouverez le sommaire de ce dossier, et les liens vers toutes ses parties, ici : https://www.stjv.fr/2021/09/dossier-sur-les-etudes-de-jeu-video/

Les études de jeu vidéo habituent donc les étudiant‧es à travailler dans de mauvaises conditions, en étant surchargé‧es de travail et en devant s’organiser et trouver des solutions aux problèmes seul‧es, sans soutien. Ce qui contrevient à la principale mission des écoles : l’apprentissage. Elles les exposent également à des ambiances sexistes (souvent catégorisées par le terme « boys’ club ») et à du harcèlement, tout en tombant dans le favoritisme envers des personnes aux comportements nocifs, voire dangereux. Enfin, en leur promettant monts et merveilles pour des carrières dans un milieu de passioné‧es, en les dépossédant de leur travail et en ignorant sciemment le droit du travail, elles les poussent vers la précarité.

Tous ensemble, ces problèmes s’accumulent pour dévoiler la véritable fonction de l’enseignement tel que conçu dans le jeu vidéo (et beaucoup d’autres industries) : les écoles servent l’industrie et les entreprises, pas leurs « client‧es », c’est à dire les étudiant‧es. Que cette fonction soit consciente ou non chez les directions d’écoles importe peu, car le résultat reste le même quelle que soit l’intention.

Le premier résultat de cette mise au service de l’industrie se caractérise par des études qui assurent une présélection des futur‧es travailleur‧ses pour les entreprises. Si cela s’opère dès l’entrée, comme dit précédemment, le coût matériel et les conditions d’études terminent de procéder à l’élimination des personnes fragilisées, minorisées et handicapées. Les personnes « non conformes » qui arrivent à rentrer dans les études de jeu vidéo subissent une pression en continu au cours de leurs années d’études, qui les pousse vers la sortie. Parmi le peu de chiffres disponibles sur l’industrie française du jeu vidéo, on en trouve deux très parlants dans le baromètre annuel du SNJV qui exposent l’ampleur du problème pour les femmes, une des catégories de personnes discriminées parmi tant d’autres : il indique pour 2019 un pourcentage de 26 % de femmes dans les écoles de jeu vidéo, mais seulement 14 % de femmes dans les entreprises de l’industrie. Ceci témoigne des discriminations à l’embauche mais aussi des abandons, nombreux, de femmes au cours de leurs études.

Cette présélection permet aux entreprises de s’assurer que la majorité des personnes qu’elles recrutent seront « adaptés » à l’industrie, ou suffisamment « dociles » pour souffrir en silence, et qu’elles n’auront donc pas besoin d’adapter leurs bureaux, méthodes et organisations de travail, leur économisant ainsi de l’argent. Elle a également pour effet d’uniformiser l’industrie : socialement, en gardant une majorité d’employé‧es issues de classes moyennes et supérieures, et culturellement, en s’assurant que les idées, thèmes et intentions apportées par les travailleur‧ses ne sortent pas trop du cadre actuel de l’industrie. Les efforts pour inciter les étudiant‧es à créer des jeux « marketables » et le favoritisme qui en découle envers les étudiant‧es qui rentre dans le moule du secteur, participent énormément à cette uniformisation culturelle. Et ce alors que l’industrie gagnerait à laisser plus de champ à l’exploration de nouvelles thématiques et mécaniques.

En plus de cette sélection sociale, les écoles participent également très activement à un formatage des étudiant‧es, les poussant à accepter des conditions de travail dégradées en studio. Les enseignements y sont majoritairement techniques, pour répondre aux listes de prérequis des offres d’emploi, et ne se soucient guère de la socialisation et du bien-être au travail des étudiant‧es. Les cours abordant le droit du travail, les relations en entreprise et les problèmes qu’on y rencontre sont rares. Mais cela est d’une certaine manière compréhensible, puisque ces mêmes problèmes sont présents en écoles (en témoigne le nombre d’entre elles qui ne respectent pas le droit du travail). Dans les quelques écoles en proposant, ils sont particulièrement axés sur l’entrepreneuriat, ce qui a de multiples utilités pour le patronat :

  • faire rêver les élèves qui voudraient fonder leur propre studio ;
  • les faire penser comme des patron·nes ;
  • les pousser vers des situations précaires comme l’auto-entrepreneuriat
  • les détourner des recours légaux auxquels iels ont accès.

« pour se faire embaucher à coup sûr, vous prenez le statut d’auto-entrepreneur et vous demandez la moitié du SMIC horaire pour un temps plein »

Propos rapporté d’un·e responsable à l’école Bellecour

« Pendant un cours « contrat et loi », on nous a expliqué qu’en cas de problème, aller aux prud’hommes, c’était prendre le risque d’être « flagué » comme un emmerdeur »

Ancien·ne élève d’une école de jeu vidéo

Les écoles ne proposent pas que des interventions de professionnel‧les et entreprises souhaitant partager leur savoir. Y sont également invités des professionnel·les venant simplement faire de la publicité de leurs produits, méthodes de production ou studio tels des VRP, ainsi que les lobbies patronaux (dont les écoles sont souvent membres). Il est ainsi presque impossible d’échapper à la propagande patronale décontextualisée lors de ses études, dont le but reste d’apprendre aux étudiant‧es à aimer les conditions de travail dégradées de l’industrie.

« [Nous avions] des interventions de « professionnels » du JV pour nous apprendre à cruncher comme il faut. […] Nous étions conditionnés à apprécier ça. Dans nos têtes c’était fantastique. »

Ancien·ne élève d’une école de jeu vidéo

Ces professionel·les en viennent aujourd’hui à venir directement sélectionner les étudiant‧es dans les écoles. Cela se fait avant tout à travers les jurys de projets, souvent abordés par les étudiant‧es et membres du jury comme des simili-entretiens d’embauche, à fortiori car ces moments sont présentés par les écoles comme des opportunités pour les entreprises de prospecter. De manière assez habituelle, ces jurys sont composés de professionnel‧les qui se sont porté·es volontaires après une annonce ou proposition des écoles, parfois relayée et approuvée en interne par les entreprises. Ce qui passe pour une initiative louable au premier abord, s’apparente une fois de plus à du travail gratuit au profit des écoles, aux nombreux effets pervers. En effet ces volontaires ne sont quasiment jamais qualifié‧es pour évaluer du travail étudiant, et leur présence peut répondre a des motivations très variées et très personnelles, parfois graves, certain‧es y voyant une opportunité de dénigrer le travail d’étudiant‧es, voire de les harceler. Leur présence participe également à la reproduction et l’uniformisation des productions de l’industrie, en favorisant les projets proches de leurs goûts personnels et de ce qu’iels produisent elleux-mêmes.

« L’école *** recherche des pros pour son jury de fin d’année. […] C’est l’occasion rêvée pour aller encourager les jeunes et/ou aller passer vos nerfs sur eux »

Mail interne d’un studio français

La présence directe, à tous les niveaux, des professionnel‧les et représentant‧es des entreprises de l’industrie brouille la frontière entre celle-ci et les écoles, en assurant notamment la promotion de l’industrie au détriment de l’information des étudiant‧es sur ses réalités beaucoup moins enviables. Que cela soit conscient et/ou assumé ou non, le but des écoles reste de fournir des machines productives aux entreprises, pas de préparer des personnes à vivre leur travail dans les meilleures conditions. Les interventions du STJV en école, que nous faisons depuis plusieurs années et durant lesquelles nous initions les étudiant‧es au droit des stages, du travail et aux réalités de l’industrie, essaient de pallier à leurs déficiences et de contrebalancer la présence des lobbies patronaux en leur sein. Nous continuons nos efforts en ce sens et restons disponibles, dans le but d’en faire dans le plus d’écoles possibles. N’hésitez pas à nous contacter.

Harcèlement : Ubisoft préfère jouer la montre et faire de la comm’ que protéger les employé·es

Ce communiqué a été écrit par des salarié‧es du groupe Ubisoft en France, incluant les sections STJV d’Ubisoft Annecy, Ubisoft Montpellier et Ubisoft Paris.

Rappel : dans cet article et plusieurs autres, nous utilisons le sigle CSE : le CSE (Comité Social et Economique) est un conseil de travailleur·ses qui est obligatoire dans toute entreprise à partir de 11 employé·es. Ses membres sont élu·es par les employé·es de l’entreprise et ont le statut de « salarié protégé », ce qui empêche de les licencier durant leur mandat sans accord de l’Inspection du Travail. Le CSE a notamment pour mission la protection des travailleur·ses de l’entreprise, en les conseillant, en transmettant leurs retours à la direction, et en veillant au respect de la loi par l’entreprise.


Il y a un peu plus d’un an, Ubisoft faisait face à une vague de témoignages sans précédent sur de très nombreux cas de harcèlement et d’agressions ayant lieu dans le groupe. Ces témoignages mettaient en cause de nombreuses personnes y compris certaines haut placées au sein de la hiérarchie du groupe, et révélaient une structure d’entreprise qui n’avait aucun remord à ignorer les multiples alertes lancées sur ses membres, tout en poussant à la sortie les victimes.

Notre analyse de la situation n’a pas changé depuis. Il est nécessaire, plus que jamais, que les travailleuses et travailleurs (via leurs représentations, syndicats ou autres déclinaisons locales) soient intégralement parties prenantes des processus de décision visant à régler ces problèmes. À ce titre, les membres de nos sections au sein d’Ubisoft qui sont également élu·es CSE, notamment les représentants de chaque section, ont travaillé d’arrache-pied pour obtenir que cela soit le cas.

Ce travail de longue haleine (voir la frise chronologique des événements ci-dessous), face à une direction qui a usé de toutes les ficelles à sa disposition pour gagner du temps, se retrouve aujourd’hui bloqué par une réponse brutale et complètement hors-sol de la direction du groupe, qui refuse tout net nos demandes. Encore une fois, cette direction ne peut en aucun cas prétendre faire table rase du passé en remplaçant uniquement une ou deux « têtes pensantes » trop connues pour se refaire une image plus propre.

En refusant d’intégrer des salarié·es au processus de remontées et de décision sur le harcèlement, la direction d’Ubisoft montre qu’elle n’a jamais eu la volonté de faire plus que de la communication pour « sauver la face ».


Un autre élément récent illustre bien cette volonté : l’introduction d’un sixième attribut d’évaluation (en plus des cinq pré-existants, donc). Ce sixième attribut, « Incarner l’exemplarité », s’appliquerait à toute personne travaillant chez Ubisoft, et non seulement il impacterait sa rémunération comme toute l’évaluation (voir le lien ci-dessous), mais il serait aussi utilisé comme multiplicateur pour le bonus de production en cas de sortie de jeu. Cet attribut pose d’énormes problèmes, car il lui est donné une importance capitale, alors que sa définition est des plus vagues : « faire preuve d’empathie », « être inclusif‧ve », « avoir une approche constructive »…

Le système d’évaluation d’Ubisoft est déjà extrêmement bancal et injuste, ainsi que nous le rappelions en juin dernier. Ce système est facteur de risques psycho-sociaux, et rajouter un dispositif risquant fortement d’augmenter ces facteurs de risques plutôt que de réformer de fond en comble les systèmes d’évaluation et de rémunération en place est tout simplement irresponsable.

Cet ajout est un pur outil de communication : il permettra à la direction de se gargariser de lutter contre le harcèlement via un impact salarial, tout en ignorant complètement qu’il s’agit d’une part d’un outil n’intervenant qu’a posteriori (puisqu’au moment de l’évaluation), et qu’il est pétri de failles critiques: rôle prédominant du ou de la manager dans une situation où bien souvent les problèmes viennent déjà de ces supérieur·es hiérarchiques, discriminations possibles envers des personnes ne « rentrant pas dans le moule »… Dans les faits cet attribut pourrait donc, plutôt que de lutter contre, devenir un outil de discrimination et harcèlement supplémentaire au service des managers du groupe.

Cela n’a pas échappé à nos membres marginalisé·es qui ont immédiatement perçu comment ces mesures allaient aggraver les discriminations qu’iels affrontent plutôt que les réduire :

  • Il y a un réel risque lié à la mise en avant de leur marginalisation au sein des évaluations : en cas d’évaluation positive, la personne sera considérée « privilégiée » par nature, renforçant de potentielles accusations de favoritisme, ou de « faire-valoir »
  • Une personne qui se défend contre des remarques ou comportements déplacées pourra être évaluée négativement pour son approche « non constructive » ou « sa difficulté à s’intégrer dans l’équipe » plus encore qu’actuellement
  • Cet attribut n’aide pas à révéler ou à réguler les problèmes de harcèlement au sein des équipes : il peut constituer un moyen supplémentaire de répression, et selon toute vraisemblance, un harceleur ne sera pas « puni » à l’évaluation s’il n’est pas déjà sanctionné disciplinairement auparavant.
  • Rappelons encore que cet attribut n’aide pas à améliorer les évaluations, puisque celles-ci sont dépendantes du budget accordé aux augmentations (cf notre article précédent plus haut).
  • Rappelons également que les personnes marginalisées sont déjà le plus souvent pénalisées par de plus bas salaires. Elles sont donc particulièrement susceptibles d’être lésées en cas d’abus de ce sixième attribut par leur manager.
  • Des personnes ayant un fonctionnement empathique neuroatypique pourraient se le voir reprocher et être punies au nom même de cet attribut supposé favoriser l’inclusion de toutes et tous.

En conclusion de cette liste effarante, et pourtant non-exhaustive, il apparaît clairement que ce sixième attribut pousserait plutôt les personnes qu’il est supposé protéger à se taire pour ne pas subir encore plus de discriminations – ou pire encore, qu’il encourage les personnes dangereuses à amplifier leur violence envers les victimes pour les pousser au silence.

Le STJV, au nom de ses adhérent·es travaillant dans le groupe Ubisoft, revendique donc le retrait pur et simple du projet de sixième attribut, ainsi que l’intégration de travailleuses et de travailleurs à tous les niveaux du processus de remontées harcèlement, et pas seulement en aval, après que la direction ait pu édulcorer ou carrément étouffer certaines affaires.


Les conditions d’études assurent la reproduction des problèmes de l’industrie

Cet article est une sous-partie d’un grand dossier sur les études de jeu vidéo publié par le STJV. Vous retrouverez le sommaire de ce dossier, et les liens vers toutes ses parties, ici : https://www.stjv.fr/2021/09/dossier-sur-les-etudes-de-jeu-video/

L’absence de questionnement des méthodes de l’industrie et d’apprentissage d’un recul critique, conjugué à l’énorme porosité entres les enseignant·es et l’industrie, conduit à la reproduction au sein des écoles des mêmes problèmes que dans l’industrie. Un grand nombre d’entre elles en viennent même à les considérer comme normaux pour l’industrie et invitent leurs élèves à les intégrer dans leur organisation de travail et leurs comportements. Élèves qui vont ensuite rejoindre l’industrie du jeu vidéo et y agir de la même manière, assurant ainsi la reproduction de tout ce qui ne va pas dans celle-ci.

Les premiers articles de Libération et Gamekult reviennent longuement sur la pratique du crunch dans les écoles, à raison. Même dans les écoles qui font le plus d’efforts pour limiter la charge de travail, il est attendu des étudiant‧es qu’iels fassent des semaine de 60 heures ou plus de travail. Et c’est sans compter les piscines, des périodes de travail très intensives qui portent des noms variées comme workshop , semaine intensive, semaine projet, etc., ou les rendus de projets, qui donnent lieu à des périodes de travail très chargées sans aménagement. Les dates de rendu de ces projets tombent très souvent juste après des weekends et vacances, avec l’idée implicite que ces périodes de repos vont en fait être utilisées pour faire de très longues journées (et nuits) de travail jusqu’à la dernière minute avant le rendu. Il n’est pas rare que les directions pédagogiques valorisent les nuits blanches et les projets ayant des tailles bien supérieures à ce qui est gérable par les élèves, comme nous avons pu le constater à de nombreuses reprises par des mails et messages envoyés aux étudiant‧es. Cette charge de travail bien trop élevée a, comme partout ailleurs, des conséquences graves sur la santé et la vie sociale. Nombre d’étudiant‧es sont déjà épuisé·es en sortie d’études, avant même d’avoir travaillé en entreprise.

La multiplication des heures de travail est par ailleurs souvent encouragée, de manière indirecte, par les horaires d’ouverture des locaux. Il n’est pas rare que les locaux d’école soient ouvert aux étudiant·es jusque très tard le soir et le weekend et, dans les cas extrêmes, peuvent même ne jamais fermer. Si l’accès aux locaux est important pour que les étudiant‧es aient accès au matériel de l’école, notamment pour celleux n’ayant pas les moyens de s’équiper personnellement en matériel coûteux, les dérives qui en découlent sont inadmissibles. Systématisme des ouvertures, clefs des locaux fournies aux élèves, directeurs pédagogiques présents sur les lieux pour encourager les groupes de projet : quand une école explique qu’il est possible de travailler la nuit à l’école, elle banalise une pratique anormale, que les étudiant‧es incorporent à leur processus de travail.

Les discriminations de toutes sortes sont également très répandues dans les écoles de jeu vidéo. Sexisme, racisme, validisme, LGBTIphobies, et tout autre forme de discrimination sont monnaies courantes, reflétant le présent de l’industrie du jeu vidéo, et forgeant son futur. De très nombreux témoignages reçus parlent de discriminations et harcèlements subis au cours des études, allant jusqu’à pousser des élèves à arrêter leurs études ou, pire, à mettre fin à leurs jours. Les deuxièmes articles publiés sur Libération et Gamekult reviennent au travers de nombreux témoignages sur ces discriminations et sur l’inaction des directions d’écoles, quand elles ne sont pas elles-mêmes à l’origine de celles-ci.

Car les écoles ont beaucoup à faire pour arrêter de discriminer les étudiant‧es. Et ce dès la sélection d’entrée, puisqu’il nous a été rapporté à plusieurs reprises que des écoles ont sciemment mis de côté des candidatures de personnes handicapées et/ou LGBT, considérant que les intégrer à l’école serait « trop compliqué » et que « ça pose des problèmes ». Cette pratique intolérable et bien sûr illégale montre que les problèmes commencent avant le début des études, mais ils ne s’arrêtent bien sûr pas là. Les personnes handicapées, souffrant de maladie chroniques ou, de manière générale, qui ont besoin d’une adaptation des environnements et rythmes d’études, temporairement ou de manière permanente, font quasi systématiquement face à un mur : les écoles attendent d’elles qu’elles s’adaptent ou qu’elles quittent l’établissement. Celleux qui essaient de faire part des discriminations subies aux administrations ne sont au mieux pas écouté·es, au pire voient leur parole minimisée, remise en cause, ainsi que leur avenir au sein de l’école.

S’exprimer de manière isolée n’est en effet pas toujours sans conséquence. Trop souvent, les auteur‧ices de discriminations (professeur‧es, administratif‧ves, étudian‧tes) sont protégé‧es par les directions pédagogiques qui n’imposent aucune sanction, mettent à l’écart les victimes au lieu de les protéger, etc. De nombreuses directions pédagogiques participent activement à la discrimination de cette manière, mais aussi en étant acteur direct de celles-ci. Les témoignages de directeur‧ices pédagogiques expliquant aux femmes qu’elles n’ont pas leur place dans le jeu vidéo, à des personnes handicapées qu’elles doivent s’adapter à l’industrie et non l’inverse ne sont pas si rares, certaines écoles en viennent même à refuser des validations d’année sans justifications tangibles, autres que la pure discrimination. Les cas de favoritisme au détriment de personnes marginalisées et/ou qui s’expriment sur les problèmes des écoles sont également légion.

On trouve également dans les écoles beaucoup de sexisme venant de professeurs hommes envers des étudiantes, et bien trop souvent des professeurs qui utilisent l’ascendant que la relation élève/professeur leur donne pour tenir des propos malvenus ou entretenir des relations sexuelles ou romantiques asymétriques et abusives avec des étudiantes, sans subir de conséquences. Ces comportements de prédation envers des femmes plus jeunes et plus vulnérables par leur position hiérarchique rappellent les comportements qu’on peut constater en entreprise et dans les cercles de socialisation de travailleur‧ses du jeu vidéo. En école ils sont facilités, entre autres, par le manque de préparation et de formation des intervenant‧es, qui ne sont parfois même pas conscients de la potentielle dangerosité de cette relation élève/professeur, et pensent qu’iels peuvent se comporter avec les étudiant‧es comme s’iels étaient leurs ami·es.

Il arrive aussi souvent que les étudiant‧es suivent à leur tour les exemples toxiques de leurs professeur‧es, et perpétuent des formes de discrimination et harcèlement fréquentes dans les milieux socialement homogènes, comme l’industrie du jeu vidéo. Cela arrive à l’école, mais aussi sur les réseaux sociaux et les canaux de communication entre étudiant‧es comme les serveurs Slack, Discord, etc. qui existent très souvent dans les sphères étudiant‧es et que les écoles font semblant d’ignorer pour se dédouaner. Dans un témoignage que nous avons reçu, un·e étudiant·e subit par exemple des « humiliations (de plus en plus fréquentes) sur le Discord de l’école » : des agressions transphobes, sexistes, auxquelles les membres de la direction « disaient qu’iels n’y pouvaient rien car ce n’était pas dans le cadre de l’école ».

Conditions de travail des professeur‧es dégradées

Ces constats côté étudiant‧es s’accompagnent, sans surprise quand on est un peu familier avec les conditions de travail dans le jeu vidéo et dans l’enseignement supérieur, de constats similaires côté professeur‧es : les écoles peuvent être un enfer pour les étudiant·es mais AUSSI pour les professeur·es et intervenant·es. Contrats précaires, très bas salaires, manque de temps pour préparer les cours et les corrections, peu voire pas de coordination pédagogique, pressions hiérarchiques, licenciements illégaux : les conditions de travail y sont excessivement mauvaises.

De manière encore plus disproportionnée que dans les studios de jeux et autres sous-secteurs du jeu vidéo, les professeur‧es des différents disciplines du jeu vidéo sont largement employé‧es via des contrats précaires. Contrats à Durée Déterminée ne couvrant qu’un semestre, heures de cours payées a posteriori en freelance, etc. : pour beaucoup, il est impossible de se projeter sur le suivi de leur enseignement et de leurs élèves, et encore moins sur leurs propres finances ou la construction d’une carrière. Cette précarité gêne également les professeur‧es qui voudraient améliorer les cursus, puisque les écoles peuvent simplement ne pas renouveler les contrats des personnes qui voudraient leur tenir tête.

Ainsi cette précarité sert de moyen de pression pour forcer les travailleur‧ses à accepter des conditions de travail intolérables. Les écoles de jeu vidéo proposent souvent des salaires inférieurs aux autres secteurs, qui paient déjà très mal, même en ne prenant en compte que les heures de cours. Car, pour une heure de cours, il faut aussi compter des heures de préparation, de mise en forme du cours, de correction des exercices, de discussions avec les étudiant‧es, mais aussi de transport et d’heures d’attente entre des cours (sans accès à un poste de travail). Rapporté aux nombres d’heures réelles effectuées, les salaires sont si bas qu’ils ne permettent pas de vivre.

« Quelle que soit l’expérience et la qualité de l’enseignant, si il n’est pas d’accord avec ses conditions de travail, il n’a qu’à prendre la porte à la fin de son CDD et il sera remplacé par un enseignant plus jeune qui acceptera le job et ses conditions de travail. (…) On m’a quasiment toujours fait signer mes contrats de travail après que les cours aient commencé. Faire signer les contrats très tard est aussi un moyen de pression pour les RHs. Les enseignants sont au pied du mur. »

Quand ces conditions ne sont pas acceptées par les intervenant‧es, les écoles leur mettent encore plus la pression, n’hésitant par exemple pas à recourir au chantage émotionnel en leur reprochant d’abandonner les élèves. Et s’iels ne cèdent pas, iels sont remplacé·es. Quand iels s’inquiètent des problèmes de l’école ou remontent les problèmes des étudiant‧es à leur hiérarchie, leurs plaintes et même leurs suggestions bénéfiques pour les élèves sont au mieux ignorées par les directions d’écoles, au pire réprimées par du harcèlement et des licenciements illégaux. Nos constats montrent que ce dernier point est particulièrement vrai dans les cas de discriminations, faisant des écoles des complices directs de celles-ci.

Si ces conditions de travail n’excusent pas les comportements que peuvent avoir certain‧es professeur‧es, elles peuvent les expliquer en partie, et montrent à quel point le système entier est vecteur de discriminations et d’abus. Elles expliquent également en partie la faible qualité d’enseignement, puisqu’elles ne permettent pas aux professeur‧es et intervenant‧es de rester longtemps, d’accumuler de l’expérience et de suivre les étudiant‧es d’une année sur l’autre. On peut noter encore une fois la boucle : les bas salaires de l’industrie encouragent les jeunes travailleur·ses à accepter des contrats précaires dans les écoles pour compléter leurs revenus, et ce peu importe les conditions (parfois, ironiquement, pour rembourser le prêt contracté pour payer les frais d’inscription à cette même école).

Les écoles ne préparent pas du tout à l’entrée sur le marché du travail

Cet article est une sous-partie d’un grand dossier sur les études de jeu vidéo publié par le STJV. Vous retrouverez le sommaire de ce dossier, et les liens vers toutes ses parties, ici : https://www.stjv.fr/2021/09/dossier-sur-les-etudes-de-jeu-video/

L’apprentissage par projet est souvent une excuse pour « étoffer le portfolio » des étudiant‧es sans que les écoles ne les aiguillent plus que ça dans ce que cela signifie, ou une manière d’apprendre à produire « comme dans l’industrie » sans aucune supervision pédagogique, et donc sans avoir de retours sur l’adéquation entre leur apprentissage et la réalité de l’industrie. Cet état de fait, très largement généralisé dans les écoles de jeu vidéo, s’explique d’une manière relativement simple : les écoles de jeu vidéo ne préparent pas les étudiant‧es à l’entrée sur le marché du travail.

Cela commence déjà par l’inadéquation entre le nombres d’étudiant‧es et le nombre de postes existants. Il nous paraît important de marteler que les filières jeu vidéo forment plus de personnes qu’il n’y a d’emplois. Si cela est vrai dans la quasi totalité des spécialités, ça l’est d’autant plus dans certaines filières comme le game design, ou dans les filières qui exploitent l’attrait pour les spécialités émergentes, comme en ce moment le narrative design.

En particulier, la plupart des promotions sont très déséquilibrées au niveau des spécialités proposées, en étant souvent composées à 50% de game designers et autres spécialités de design. Hors il y a relativement peu de postes à pourvoir dans ces spécialités dans l’industrie française et à l’international. Ces incohérences avec le marché du travail forcent les étudiant‧es à se sur-spécialiser, à acquérir une double compétence par leurs propres moyens, voire même à se réorienter complètement ou à laisser tomber l’idée de travailler dans le jeu vidéo pour pouvoir espérer trouver un emploi.

Car, même dans la meilleure des écoles, rien ne garantit aux étudiant·es qu’iels trouveront un poste dans l’industrie du jeu vidéo, s’iels en ont encore envie après avoir survécu aux conditions de leurs années d’études. Les ancien·nes étudiant·es sont nombreux·ses à faire ce constat elleux-mêmes :

« Aujourd’hui, sur une classe de 35 nous sommes peut être 7 ou 8 encore dans le JV ».

Le baromètre du Jeu Vidéo 2020 publié par le SNJV, une organisation de lobbying patronale regroupant aussi les écoles, nous apprend que 57 % des étudiant‧es trouvent un emploi dans le jeu vidéo dans l’année qui suit la fin de leurs études, ce qui est bien loin des 80-90% de placement avancés par l’extrême majorité des écoles. Ces chiffres d’emploi sur un ou deux ans, quand il y en a, sont sciemment faussés par les directions d’écoles pour impressionner : ils prennent en compte les ancien‧nes étudiant·es qui ont été poussé‧es à prendre un statut d’auto-entrepreneur sans se soucier de savoir s’iels peuvent en vivre (ce qui est rarement le cas en sortie d’école), et les emplois des ancien‧nes qui se sont réorientés vers d’autres industries.

Certaines écoles mettent même en place un chantage au chômage dès la formation, encourageant les élèves à accepter des stages qui relèvent de l’exploitation et/ou à faire des stages sans convention, insinuant qu’il faut tout accepter sans broncher pour faire des jeux vidéo. Il arrive même que certaines d’entre elles leurs fournissent de faux documents, notamment pour satisfaire les demandes (illégales) des entreprises.

Pour rappel, le stage n’est pas un contrat de travail, il n’est pas censé remplacer un poste permanent. Un suivi doit être effectué par une personne de l’équipe pédagogique, avec un entretien en cours de stage, pour s’assurer de son bon déroulé (vérifier par exemple que l’étudiant·e a un mentor, que l’entreprise lui fournit le matériel et qu’iel est dans de bonnes conditions pour travailler). Les stages sont très encadrés par la loi, cette fiche du ministère du travail regroupe les informations importantes.

Les écoles donnent régulièrement de très mauvais « conseils » à leurs étudiant‧es, les encourageant à entrer dans l’industrie en acceptant des statuts très précaires, des emplois non payés ou sous payés. Parmi les propos qui nous ont été rapportés, ces mots glaçants d’un membre d’une équipe pédagogique à destination d’une promotion entière :

« Pour se faire embaucher à coup sûr, vous prenez le statut d’auto-entrepreneur et vous demandez la moitié d’un smic horaire pour un temps plein ».

Les mensonges, explicites ou par omission, des formations privées jouent sur le côté cool de l’industrie du jeu vidéo. Elles vendent du rêve en parlant d’industrie riche, en pleine croissance et où la créativité est sans limite, alors que les étudiant·es découvriront une fois sorti·es d’école que les salaires sont bas, les postes fantasmés peu nombreux, les possibilités d’avancer dans leur carrière faibles, et que la plupart des postes sont dans des entreprises annexes à la production de jeux grand public.

Beaucoup d’entre elleux auront contracté des emprunts pour payer les prix délirants des études, qu’iels auront alors du mal à rembourser à cause de la précarité de l’industrie, des salaires trop bas, ou carrément parce qu’iels n’auront pas trouvé d’emploi. Les quelques un‧es qui arriveront à décrocher un travail dans le jeu vidéo libéreront, en se réorientant après quelques années vers des industries aux statuts et salaires plus intéressants, la place aux étudiant·es d’écoles qui inondent le marché à leur tour… Ainsi, la boucle est bouclée.

Nos interventions en école, nos discussions avec des étudiant‧es et des professeur‧es, nous ont révélé que les étudiant‧es ne sont quasiment jamais au courant des bases du droit des stages et du travail quand iels se mettent à en chercher un, parfois ne sachant même pas réellement la différence entre un statut salarié et un statut auto-entrepreneur. Ces lacunes montrent un manque d’enseignement, car les étudiant·es devraient être préparé‧es pour pouvoir se défendre à la sortie d’école, ne serait-ce que pour leur permettre de connaître les différents statuts de travail et reconnaître un contrat abusif… Il est essentiel que le droit du travail et les notions économiques liées au salaire fassent partie intégrante de la formation de tout organisme d’enseignement supérieur.

La qualité d’enseignement reste très discutable

Cet article est une sous-partie d’un grand dossier sur les études de jeu vidéo publié par le STJV. Vous retrouverez le sommaire de ce dossier, et les liens vers toutes ses parties, ici : https://www.stjv.fr/2021/09/dossier-sur-les-etudes-de-jeu-video/

Si les étudiant‧es se sentent coupables de faire de la publicité pour leurs écoles, ça n’est pas uniquement à cause des conditions dégradées et de l’exploitation, mais aussi parce que, bien souvent, l’enseignement qui leur est dispensé n’est pas de bonne qualité. Difficile de vanter les mérites d’une formation à la pédagogie hasardeuse voire inexistante, et dont l’intérêt s’estompe au fur et à mesure des années. D’autant plus lorsque les plaquettes des écoles vantent souvent des heures de cours bien supérieures à celles réellement dispensées, avec des enseignements tout bonnement inexistants dans la formation.

Les unités d’enseignement dispensées, majoritairement techniques au détriment des autres savoirs, apprennent néanmoins très souvent aux élèves des technologies et méthodes obsolètes dans l’industrie en plus de n’avoir, dans la plupart des cas, aucune structure pédagogique. Car la grande majorité des écoles n’allouent tout simplement pas ou très peu de moyens à la cohésion et au suivi pédagogique. Ce manque de moyens conduit à un manque de communication entre les professeur‧es, à l’absence de programme stable, et à un manque de cohérence entre les matières. Des matières qui gagneraient à être enseignées en parallèle ne le sont pas et le nombre de projets est multiplié car chaque matière en demande un spécifique au lieu de regrouper différents travaux en un seul projet, participant ainsi au surtravail des élèves.

Des intervenant·es nous ont témoigné avoir été embauché·es puis envoyé·es devant des classes sans que la direction pédagogique dont iels dépendent ne leur ait fournit aucune indication de programme, préparation ou même simples conseils. Le turn-over, très important, des professeur‧es et de l’équipe pédagogique empêche tout suivi d’une année à l’autre et mène à des situations absurdes où les mêmes cours sont dispensés deux années de suite, à la même classe, avec deux intervenant·es différent·es. Pour palier à ces manques, il arrive que des étudiant·es ou intervenant·es s’occupent de la coordination pédagogique à la place de leur école, mais iels ne sont ni formé·es ni payé·es pour ce travail supplémentaire. Et les directions pédagogiques ne facilitent pas ce travail : on nous les décrit comme opaques, ne communiquant ni avec les étudiant·es ni avec les intervenant·es. « Avoir des réponses à nos mails est un véritable parcours du combattant. » nous disent les étudiant‧es de nombreuses écoles.

Comme pour enfoncer le clou, ces problèmes s’aggravent avec les années. Plus les années avancent et plus les écoles privilégient le soi-disant « apprentissage par projets », qui leur permet de laisser les élèves se débrouiller sans professeur‧e, parfois jusqu’à ce que des années de Master n’aient, dans les faits, aucun cours. L’adoption massive de ce mode de non-enseignement, outre faire économiser de l’argent aux écoles en rendant les dépenses liées au suivi de la formation inutiles, n’a aucune qualité pédagogique, pousse les élèves au burnout, creuse les inégalités et fait émerger de nombreux problèmes exposés dans les parties précédentes.

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