Fonds de grève du STJV

Depuis le mouvement contre la réforme des retraites de 2023, le STJV possède son propre fonds de grève interne.

À quoi ça sert ?

Les heures et jours de grève ne sont pas rémunérés. Cela limite le nombre de personnes qui peuvent se mobiliser sur les mouvements de grève et, pour celleux qui le peuvent, cela peut vite représenter un coût financier important.

Pour limiter ces problèmes et permettre aux travailleur‧ses de se mobiliser largement, on fait appel à la solidarité et au collectif en créant des caisses de grèves, des fonds qui sont reversés aux grévistes qui en ont le plus besoin.

Comment donner ?

Le fonds de grève du STJV est constituée en partie d’argent issue des cotisations des adhérent‧es, mais reste majoritairement tributaire de dons.

Pour participer au fonds de grève du STJV, il vous suffit d’aller sur cette page de don : https://www.payasso.fr/stjv/dons

Comment ça marche ?

Une partie des cotisations est attribuée par défaut au fonds de grève. En plus de cela, les dons et les surplus éventuels des caisses de grève ponctuelles sont reversés dans le fonds de grève. Celui-ci sert donc à alimenter et compléter les caisses de grève des différents mouvements sociaux menés par nos adhérent‧es.

Régulièrement tout au long des mouvements de grève, le STJV recensera les grévistes en interne et dans les entreprises où le syndicat a des sections syndicales, afin d’évaluer les besoin d’indemnisation, et récupérer les informations nécessaires pour faire ces indemnisations.

Après chaque recensement, les grévistes déclaré‧es sont invité à décider collectivement et démocratiquement de la répartition des fonds disponibles, en prenant en compte les informations à leur disposition, les besoin de chacun‧e et les suites du mouvement.


Des changements doivent avoir lieu au niveau du contenu pédagogique

Cet article est une sous-partie d’un grand dossier sur les études de jeu vidéo publié par le STJV. Vous retrouverez le sommaire de ce dossier, et les liens vers toutes ses parties, ici : https://www.stjv.fr/2021/09/dossier-sur-les-etudes-de-jeu-video/

Quelle que soit l’origine d’une amélioration de la situation — par une pression globale au niveau de la société, par une soudaine prise de conscience des directions d’école, ou par activisme en interne, les changements effectifs devront concerner majoritairement l’organisation hiérarchique et politique de ces entreprises. En premier lieu, les cours dispensés.

Dans nombre de formations, en particulier privées, on constate une surabondance de cours techniques, centrés sur la pure application, par exemple de l’utilisation d’un logiciel précis. Les écoles et entreprises s’entendent, plus ou moins tacitement, pour former de futur·es employé·es dociles et assigné·es à un rôle, injustifié, de simple exécutant·e. Si l’on ne leur donne pas une ouverture sur le monde créatif, théorique, technologique dans et hors du pur jeu vidéo, on les contraint à rester à la merci des entreprises. En n’étant considéré·e, et parfois en ne s’envisageant soi-même, que comme une énième personne cliquant sur des boutons, on s’enferme dans un rôle en théorie remplaçable à l’envi par la multitude de candidatures formées à la même enseigne. Et en n’ayant appris que des outils techniques très précis, il devient d’autant plus difficile de faire valoir son expérience là où ils ne seraient pas ou plus utilisés.

Il est donc urgent d’élargir le champ des matières enseignés, et d’enseigner dans l’intérêt des étudiant·es plutôt que dans celui des entreprises. Cela passera notamment par une ouverture à des domaines plus « universitaires » et « théoriques », souvent considérés à tort comme inutiles, et a fortiori quand ils ne se rattachent pas directement au « jeu vidéo ».

Cela commence par un besoin impératif de formation à la gestion de projets, une des plus grandes lacunes dans l’industrie du jeu vidéo, et de ne pas le faire d’un point de vue de chef de projet ou lead, puisque la majorité des étudiant‧es ne le seront jamais. Des écoles sensibilisent déjà à la planification et au suivi de production, afin d’apprendre aux étudiant‧es à gérer le temps de travail et analyser leurs capacités de production. Il faut étendre cette démarche, notamment pour apprendre aux étudiant·es à détecter les risques de basculement vers le crunch, et comment les prévenir, mais aussi pour que les futur‧es travailleur‧ses puissent comprendre les processus de production à l’œuvre en entreprise et identifier les sources des problèmes d’organisation. De plus, cela leur permettrait d’avoir une influence dessus, et donc d’améliorer leurs conditions de travail et de ne plus avoir à faire confiance aveuglément à leurs supérieur‧es et à leurs abus.

Pour aller plus loin, il est crucial de permettre aux étudiant‧es de développer leur esprit critique sur le jeu vidéo, les médias et les produits culturels dans leur ensemble. Le jeu vidéo est un des plus importants media au monde, il nécessaire que les personnes dont le métier sera d’en fabriquer puissent avoir accès à des connaissances qui leur permettront de manier son discours et ses utilisations :

  • Des cours et formations critiques portant sur l’industrie du jeu vidéo, son état actuel et ses tendances futures, permettront de mieux appréhender les importants mouvements économiques et sociaux qui la traversent, et de se placer dedans.
  • De manière complémentaire, des cours d’histoire de l’art, d’histoire du jeu vidéo, et même d’histoire du jeu, pourraient venir briser le mythe de l’exceptionnalisme de notre industrie, et exposer ses côtés les moins reluisants (notamment ses liens avec l’industrie de l’armement).
  • L’ouverture à la recherche sur le jeu vidéo serait un point de départ important pour lever les barrières entre la production de jeu vidéo et les disciplines qui les étudient, et permettre une meilleure circulation et valorisation des connaissances qui font ce medium.
  • L’analyse des médias et de leurs discours permettrait aux futur‧es créateur‧ices de mieux appréhender leur rôle et leur place dans la diffusion d’idées auprès du grand public. De même, des cours généraux sur la sociologie, la philosophie, l’économie, la politique, etc. pourraient avoir un impact positif sur le jeu vidéo en tant que medium. La compréhension des structures sociales dans lesquelles des créateur‧ices s’inscrivent ne peut qu’affiner l’appréhension et la conception des structures vidéoludiques produites.

Enfin, et cela nécessite un paragraphe à lui tout seul, il est crucial que les étudiant‧es soient formé·es au droit du travail. Les personnes qui sortent d’études et entrent sur le marché du travail, et cela ne se limite malheureusement pas qu’à l’industrie du jeu vidéo, méconnaissent leurs droits et les différents statuts de travail existants. Cela les rend vulnérables lors des négociations de leurs contrats, et retarde souvent leurs recours aux dispositifs légaux quand iels sont exposé·es à des abus, comme nous en faisons l’expérience encore trop souvent. Ne pas les renseigner sur ces droits ne sert que les entreprises et renforce la prédation sur les jeunes travailleur‧ses.

Le STJV intervient régulièrement dans les écoles et universités pour présenter les bases du droit du travail et informer sur le fonctionnement de l’industrie, mais cela est loin d’être suffisant. De manière générale, les organisations et professionnel‧les qui défendent et représentent les travailleur‧ses (avocat‧es, représentant‧es du personnel, syndicats, etc.) doivent avoir accès aux écoles et y donner des cours. À l’inverse, de tels cours ne doivent surtout pas être dispensés par des entrepreneur·ses, intervenant‧es de syndicats patronaux, etc. dont les intérêts matériels sont diamétralement opposés à ceux des travailleur‧ses.

Pour la même raison, il est également crucial que les entreprises et leurs organisations n’aient plus d’emprise sur les écoles, qui doivent cesser les partenariats qu’elles ont avec celles-ci. Les représentant‧es de lobbies patronaux et de studios, qui s’accaparent les interventions pour faire la publicité de l’industrie et leurs entreprises, vont jusqu’à mentir, répandre des fausses informations et camoufler les conditions de travail désastreuses qui y attendent les travailleur‧ses débutant‧es. Iels ne doivent plus être toléré·es. Encore plus nécessaire, il faut mettre fin aux partenariats entre les entreprises et les écoles pour les projets étudiants. Ceux-ci doivent être des exercices pédagogiques, au profit des étudiant‧es et non des entreprises ! Ils doivent donc être préparés par le corps enseignant de l’école. Si le but est de simuler une « commande client », cela peut tout à fait être réalisé sans pour autant avoir recours à des entreprises. Faire travailler les étudiant‧es pour une entité extérieure à l’école est au mieux une défaillance dans le processus pédagogique, au pire complètement illégal et relève du travail dissimulé (« au noir »).

Enfin, les cursus d’études qui demandent la validation de nombreux stages nuisent aux étudiant‧es, qu’iels suivent ledit cursus ou non, et à la qualité de leur propre enseignement. Quand les stages en viennent à remplacer un tiers, voire la moitié des semestres d’études, parfois dès la première année, la question de l’intérêt même de poursuivre ces études se pose par rapport au fait de chercher directement un emploi. Le nombre d’étudiant‧es cherchant un stage chaque année rend cette recherche si difficile, surtout pour les stages courts, que ceux-ci ne sont plus fait pour un quelconque intérêt pédagogique ou professionnel mais dans l’unique but de valider les années, coûte que coûte. Les entreprises n’arrangent pas la situation, l’extrême majorité d’entre elles cherchant à rentabiliser les stagiaires, ne se souciant aucunement de l’aspect pédagogique. Cela leur fournit une main d’œuvre fragilisée, abondante et quasiment gratuite pour se décharger de toutes sortes de besognes.

Il faut donc que les écoles réduisent le nombre de stages imposés dans leurs cursus, en supprimant en particulier les stages courts qui sont si difficiles à obtenir. Si, compte tenu de la quantité d’abus qu’elle entraîne, nous pensons qu’il faudrait purement et simplement supprimer la notion de stage telle qu’elle existe en France actuellement, nous comprenons qu’elle est une nécessité réelle pour les étudiant‧es afin d’espérer décrocher un emploi. Dans un tel cas, le STJV préconise de ne garder qu’un stage de fin d’études, comme outil de validation et d’application des connaissances acquises au cours de celles-ci en milieu professionnel. Ces stages longs, qui peuvent parfois déboucher sur une embauche, sont les seuls à pouvoir apporter quelque chose aux étudiant‧es que l’école ne peut pas elle-même. Réduire le nombre de stages permet également de faciliter pour les écoles la mise en place d’un réel projet pédagogique entre les étudiant‧es et les entreprises d’accueil, et le suivi qui va avec, ce qui fait actuellement défaut dans l’immense majorité des stages.

Pour avancer sur les problèmes des écoles, des changements doivent avoir lieu à tous les niveaux

Cet article est une sous-partie d’un grand dossier sur les études de jeu vidéo publié par le STJV. Vous retrouverez le sommaire de ce dossier, et les liens vers toutes ses parties, ici : https://www.stjv.fr/2021/09/dossier-sur-les-etudes-de-jeu-video/

En attendant des actions extérieures et l’imposition de réaction systémiques, il faut parfois prendre les choses en main soi-même. En effet, des étudiant‧es ou professeur‧es faisant face directement à des discriminations, du harcèlement, des problèmes de santé causés par leurs conditions d’études ou de travail ont besoin d’actions immédiates, et ne peuvent pas attendre des changements à plus grande échelle. Pour cela, il existe différent leviers permettant de forcer les écoles à respecter la loi, leurs professeur‧es et leurs étudiant‧es.

Rappelons que les élèves d’un organisme de formation privé sont les consommateur‧ices des services prodigués par l’entreprise derrière cet organisme. Les contrats passés avec les écoles, qui sont souvent intégrés ou même confondus avec les dossiers d’inscription, tombent évidemment sous le coup du droit, principalement du droit de la consommation. Les écoles doivent en respecter les clauses. En particulier, les écoles doivent fournir un plan des cours qui seront suivis. Si les cours dispensés ne correspondent pas à celui-ci, ou s’ils ne sont pas assurés, l’école peut être poursuivie.

De plus, comme dit précédemment, les discriminations et le harcèlement sont déjà punis par la loi. Des professeur‧es, du personnels administratifs, des représentants de l’école qui discriminent ou harcèlent des étudiant‧es peuvent également être poursuivis, et dans de nombreux cas l’établissement qui a laissé ces agissements avoir lieu peut l’être également.

Nous expliquions dans la première partie de ce dossier que les écoles dépendent économiquement de leur image publique, et ce de manière disproportionnée. D’un côté source de nombreux problèmes, et une des causes principales de la répression exercée par les écoles sur la liberté d’expression des étudiant‧es, cette dépendance est aussi une faiblesse. Les écoles craignent de voir leurs fautes exposées publiquement, ce qui donne un moyen de pression relativement puissant aux victimes de leurs (in)actions. Demander des comptes et poser des questions aux journées portes ouvertes, sur les salons, dans les réunions que les écoles peuvent avoir avec les parents, élèves, délégué‧es étudiant‧es, peut aussi rentrer dans ce genre de tactique.

Quel que soit le moyen choisi, agir et s’exposer seul‧e est toujours risqué, matériellement, psychologiquement ou socialement. Nous conseillons très vivement de ne pas faire les choses dans son coin et, selon la situation, de se rapprocher de syndicats, associations de consommateur‧ices, avocat‧es, etc. De la même manière, il est toujours utile de communiquer avec ses collègues, camarades d’études, connaissances externes, autres parents d’élèves… S’avertir mutuellement, discuter ensemble de nos problèmes, regrouper les différentes expertises, expériences et moyens, donne la possibilité de faire plus, et mieux, que seul‧e.

Beaucoup de solutions proposées aux problèmes des études de jeu vidéo sont des impasses ou des mensonges

Cet article est une sous-partie d’un grand dossier sur les études de jeu vidéo publié par le STJV. Vous retrouverez le sommaire de ce dossier, et les liens vers toutes ses parties, ici : https://www.stjv.fr/2021/09/dossier-sur-les-etudes-de-jeu-video/

Si les écoles sont souvent les premières responsables des problèmes rencontrés, elles sont loin d’être les dernières à tenter d’y apporter des solutions. Bien conscientes des risques économiques liées à une perte de réputation publique — ou pour les membres des directions, les risques pour leur carrière — elles ont depuis longtemps trouvé des leviers permettant de s’en protéger.

Le premier d’entre eux, dont nous avons parlé tout au long de la première partie de ce dossier, est bien entendu la répression. Le « meilleur » moyen de protéger sa réputation est d’empêcher l’expression de tout fait ou opinion qui pourrait l’entacher. Intimidation d’étudiant‧es, notamment via des règlements intérieurs contrevenants aux libertés fondamentales, licenciements et renvois illégaux de personnes considérées comme nuisibles, recours à des agences de gestion de la communication de crise pour allumer des contre-feux et enterrer l’information, procès baillons … le champ d’action en ce sens est malheureusement large et fortement employé.

Ces points sont ceux contre lesquels les organisations de travailleur‧ses et étudiant‧es, tel que le STJV, luttent quotidiennement dans leurs actions : nos buts sont d’empêcher les entreprises (et donc les écoles) d’abuser de leur pouvoir, de créer un contre-pouvoir bénéficiant à tous les travailleur‧ses, actuel‧les et futur‧es, protégeant les lanceur‧ses d’alerte et, à terme, de donner tout le pouvoir aux travailleur‧ses.

Parmi les acteurs extérieurs du contrôle des formations privées, on retrouve également l’État. Par les mécaniques de subventions des écoles mais aussi, et surtout, par son système de certification des diplômes via le Répertoire National des Certifications Professionnelles (RNCP). Ces certifications sont très importantes, car un diplôme non reconnu par l’État ne « compte pas » administrativement, ce qui a de nombreuses répercussions :

  • sans crédits ECTS, il est très difficile d’obtenir des équivalences afin de poursuivre ses études ailleurs, que cela soit dans le public ou à l’étranger ;
  • certaines aides d’État sont conditionnés à la validation d’un niveau d’étude reconnu ;
  • certaines aides CNC pour les créateur‧ices et studios de jeu vidéo indépendants nécessitent l’obtention d’un diplôme reconnu d’une petite sous-sélection d’écoles ;
  • l’obtention de visas, que cela soit en France pour y immigrer, ou à l’étranger pour y émigrer, est souvent conditionnée au niveau d’études et donc à la reconnaissance des diplômes obtenus ;
  • le statut professionnel et tout ce qui en découle (salaire, retraite, congés, etc.) peut aussi être lié au niveau d’études reconnu.

Si le contrôle des enseignements par une autorité publique externe aux entreprises d’éducation privées est utile et même nécessaire, ces certifications ne sont pas sans faille, et les écoles n’ont de cesse de chercher à les détourner ou les contourner. Les appellations de diplômes sont parfois trompeuses, à l’exemple du terme « Mastère » qui, à la différence du terme « Master », n’est pas une appellation officielle et ne garantit donc pas la qualité ni la reconnaissance du diplôme. Les certifications données peuvent ne pas correspondre à la formation, comme c’est le cas dans une école parisienne où le diplôme de Game Designer délivré a une certification RNCP de « designer interactif ». Mais elles peuvent aussi avoir expiré, malgré leur mise en avant dans la communication des écoles, faisant prendre le risque aux élèves d’obtenir un diplôme non reconnu à la sortie.

Les lobbies patronaux souhaitant au maximum éviter l’intervention de l’État dans leurs affaires, ils feignent souvent de prendre les devants sur la législation pour faire bonne figure et négocier une dérégulation de leur secteur, au nom d’une imaginaire « auto-régulation ». L’un des exemples dans l’industrie du jeu vidéo concerne les systèmes d’évaluation des jeux et de recommandations d’âges, dont la gestion par ces lobbies est partiellement responsable de l’apparition incontrôlée de mécaniques de jeu d’argent dans des productions récentes. Ceci exposant notamment des enfants à une pratique pourtant énormément contrôlée en temps normal. En ce qui concerne les études de jeu vidéo en France, cette stratégie se traduit par divers labels, dont principalement le Réseau des Formations aux Métiers du Jeu Vidéo (RFMJV, anciennement REJV, Réseau des Écoles du Jeu Vidéo).

Mais, à l’instar de tous les labels privés, celui-ci n’est qu’une façade pour faire de la communication. Il est impossible de lui faire confiance et les personnes et organisations derrière le savent très bien, allant jusqu’à, lorsqu’iels sont confrontés à son propos, faire mine de rejeter le titre de « label » et toute responsabilité qui irait avec. Dans un article de Libération d’Avril 2021, les journalistes rappellent ainsi que « les conditions d’entrée [au RFMJV] n’impliquent aucun contrôle sur le contenu de l’enseignement et le Syndicat National du Jeu Vidéo insiste auprès de nous sur le fait que ce réseau n’est en rien un label ».

Les défauts des labels ne sont pas uniquement dus aux organisations derrière ceux-ci. S’assurer d’une qualité suffisante au sein des formations représente un travail colossal, hors de portée d’acteurs privés, qui de toute façon ne permettrait que de réaliser des constats a posteriori . Il est tout simplement impossible de garantir que les informations sont à jour, véridiques ou complètes. C’est pour cela que, plutôt que de nous reposer sur des outils de communication nécessairement imparfaits, nous préférons la mise en place de systèmes empêchant que les écoles soient juges et parties, et nous assurer que les problèmes et mensonges dont nous parlons ne puissent même pas avoir lieu.

Au delà des labels, les entreprises, et donc les écoles, ont bien d’autres outils à leur disposition. Les pratiques consistant à communiquer à outrance sur le moindre petit effort, réel ou non, à reprendre à son compte les luttes de minorités tout en annihilant leur message de fond, ou à exploiter les personnes marginalisées sont malheureusement courantes. Elles sont plus connues sous des noms comme pinkwashing ou socialwashing. Inauguration d’un bâtiment accessible aux personnes à mobilité réduite quand le reste du campus ne l’est pas et ne le sera jamais, médiatisation d’une semaine de sensibilisation aux discriminations de genre quand l’école ferme les yeux sur le harcèlement sexuel qui y a lieu, interdiction du « crunch » dans un établissement laissant explicitement les salles de projet accessibles 24h24 7j/7 et surchargeant les étudiant·es… Les exemples sont nombreux. La mise en avant des 5% de choses qui vont bien vient souvent, parfois à dessein, cacher les 95% qui ne vont pas derrière.

Si l’utilité de la visibilisation des discriminations, de la représentation des personnes marginalisées et des « role models » a été démontrée, cela n’est que la partie émergée de l’iceberg, et ne saurait jamais remplacer la lutte contre les discriminations en interne et de manière systémique. Attirer les personnes marginalisées est un petit pas peu coûteux à mettre en place, empêcher les discriminations à leur encontre tout au long de leurs études et de leur carrière, qu’on en soit l’auteur‧ice ou que cela vienne de quelqu’un d’autre, nécessite bien plus d’efforts.

À ce titre, la charité est un bon exemple de dissonance entre les intentions affichées publiquement et la porté des effets réels. Par exemple, mais ce n’est pas le seul cas, la positivité des effets directs d’une bourse étudiante privée sont totalement indéniables, et on peut reconnaître la mise en lumière du problème matériel de l’accès aux études privées qui en résulte. Mais on peut aussi regretter les bien plus grands bénéfices qu’elle apporte aux entreprises de l’industrie, et aux personnes qui surfent sur l’image positive d’une telle entreprise pour se mettre en avant malgré tous les agissements qui pourraient leur être reprochés.

Nombre d’écoles et de studios ont rapidement sauté sur l’occasion pour se payer une image « humaniste », à grand renfort de dons financiers bons marché par rapport à leurs budgets annuels : leur défiscalisation signifie que 60% sera en réalité payée directement par l’Etat. Les motivations des soutiens institutionnels peuvent ainsi être sérieusement remises en cause quand on y trouve des écoles qui discriminent explicitement des étudiant‧es lors de leur sélection et continuent chaque année de gonfler le prix d’inscription, ou des entreprises qui couvrent les discriminations matérielles et personnelles qu’elles imposent à leurs employé‧es marginalisé‧es.

Ces dernières années, de nombreuses écoles ont aussi ajouté à leur arsenal de communication diverses chartes éthiques. Ces chartes consistent en une série de propositions visant à améliorer la mixité et la diversité au sein des écoles, et peuvent venir s’ajouter aux règlements intérieurs de celles-ci. Sur le papier, rien de négatif donc, et les écoles n’ont pas hésité à mettre en scène la signature des ces chartes lors d’événements importants pour l’industrie française, en présence de ministres, ou à communiquer intensivement sur leur mise en place auprès de leurs étudiant·es et lors de journées porte-ouvertes.

Sauf que ces chartes ne sont que des notes d’intention, des recommandations. Elles ne sont pas des outils qui permettent de résoudre les problèmes, seulement des outils de communication qui permettent de dire qu’on a l’intention de les résoudre. C’est pourquoi, et malheureusement sans surprise, on trouve des directions d’écoles qui ont signé une charte éthique mais continuent d’étouffer les problèmes en leur sein et de réprimer les personnes qui cherchent à les régler. Parmi les premières écoles à communiquer sur de telles chartes, certaines auraient ainsi activement protégé des élèves ou professeur·es agresseur·ses sexuel·les dans l’année qui a suivi la mise en place de leurs chartes respectives.

Les comités éthiques, dont le nom et la composition peuvent changer localement, sont une mesure phare qu’on trouve dans la majorité des chartes adoptées récemment. Quand ils sont mis en place, ils sont généralement composés d’étudiant‧es et professeur‧es volontaires et peuvent être chargés de recueillir les témoignages et plaintes, discuter des problèmes de l’école, et/ou proposer des solutions à la direction. L’existence de telles instances représentatives est une bonne nouvelle, car c’est une avancée significative dans la représentation étudiante et la démocratie en école.

Mais un certain nombre de biais demeurent, dont il faut être conscient. La composition de ces comités, nécessairement uniquement des personnes issues de l’école et mélangeant professeur‧es et étudiant‧es, peut mener à des difficultés de jugement, comme lors d’un cas récent où un comité d’éthique n’a initialement pas voulu étudier en détail des signalements vis-à-vis d’un professeur ancien et haut placé, ou encore lorsque les étudiant‧es de ces comités voient leur droit à la parole retiré (volontairement ou non), par la supériorité hiérarchique des professeur‧es sur elleux. Les membres de ces comités sont bien souvent temporaires, empêchant un suivi sur le long terme bien souvent nécessaire, et empêchant d’identifier les situations qui se répètent : peu importe les solutions pansements, les obstacles que rencontrent les personnes marginalisées sont systémiques. Mais dans la majorité des cas, le problème principal reste le manque de moyens et de pouvoir alloués à ces comités, et l’inactivité ou l’inutilité qui en résulte.

Cela constitue en réalité le problème principal derrière toutes les tentatives de résolution des problèmes. Les actions et régulations sans volonté d’allouer des moyens pour assurer leur respect et bon déroulement ne sont dans les faits que des outils de propagande et de camouflage pour le patronat (ou l’Etat, selon le type de régulation).

Comme dans quasiment tous les domaines et secteurs, il faut avant toute chose plus de moyens. Il existe déjà des lois, décrets et autres circulaires qui prennent en compte les problématiques existantes : on n’a pas besoin d’une loi (sans parler d’une charte) de plus pour (ré)interdire le viol, le harcèlement, le non-respect des contrats, l’abus de confiance, etc. Avant de parler de plus de régulation, il faudrait déjà appliquer celles qui existent déjà.

Les conditions d’études assurent la reproduction des problèmes de l’industrie

Cet article est une sous-partie d’un grand dossier sur les études de jeu vidéo publié par le STJV. Vous retrouverez le sommaire de ce dossier, et les liens vers toutes ses parties, ici : https://www.stjv.fr/2021/09/dossier-sur-les-etudes-de-jeu-video/

L’absence de questionnement des méthodes de l’industrie et d’apprentissage d’un recul critique, conjugué à l’énorme porosité entres les enseignant·es et l’industrie, conduit à la reproduction au sein des écoles des mêmes problèmes que dans l’industrie. Un grand nombre d’entre elles en viennent même à les considérer comme normaux pour l’industrie et invitent leurs élèves à les intégrer dans leur organisation de travail et leurs comportements. Élèves qui vont ensuite rejoindre l’industrie du jeu vidéo et y agir de la même manière, assurant ainsi la reproduction de tout ce qui ne va pas dans celle-ci.

Les premiers articles de Libération et Gamekult reviennent longuement sur la pratique du crunch dans les écoles, à raison. Même dans les écoles qui font le plus d’efforts pour limiter la charge de travail, il est attendu des étudiant‧es qu’iels fassent des semaine de 60 heures ou plus de travail. Et c’est sans compter les piscines, des périodes de travail très intensives qui portent des noms variées comme workshop , semaine intensive, semaine projet, etc., ou les rendus de projets, qui donnent lieu à des périodes de travail très chargées sans aménagement. Les dates de rendu de ces projets tombent très souvent juste après des weekends et vacances, avec l’idée implicite que ces périodes de repos vont en fait être utilisées pour faire de très longues journées (et nuits) de travail jusqu’à la dernière minute avant le rendu. Il n’est pas rare que les directions pédagogiques valorisent les nuits blanches et les projets ayant des tailles bien supérieures à ce qui est gérable par les élèves, comme nous avons pu le constater à de nombreuses reprises par des mails et messages envoyés aux étudiant‧es. Cette charge de travail bien trop élevée a, comme partout ailleurs, des conséquences graves sur la santé et la vie sociale. Nombre d’étudiant‧es sont déjà épuisé·es en sortie d’études, avant même d’avoir travaillé en entreprise.

La multiplication des heures de travail est par ailleurs souvent encouragée, de manière indirecte, par les horaires d’ouverture des locaux. Il n’est pas rare que les locaux d’école soient ouvert aux étudiant·es jusque très tard le soir et le weekend et, dans les cas extrêmes, peuvent même ne jamais fermer. Si l’accès aux locaux est important pour que les étudiant‧es aient accès au matériel de l’école, notamment pour celleux n’ayant pas les moyens de s’équiper personnellement en matériel coûteux, les dérives qui en découlent sont inadmissibles. Systématisme des ouvertures, clefs des locaux fournies aux élèves, directeurs pédagogiques présents sur les lieux pour encourager les groupes de projet : quand une école explique qu’il est possible de travailler la nuit à l’école, elle banalise une pratique anormale, que les étudiant‧es incorporent à leur processus de travail.

Les discriminations de toutes sortes sont également très répandues dans les écoles de jeu vidéo. Sexisme, racisme, validisme, LGBTIphobies, et tout autre forme de discrimination sont monnaies courantes, reflétant le présent de l’industrie du jeu vidéo, et forgeant son futur. De très nombreux témoignages reçus parlent de discriminations et harcèlements subis au cours des études, allant jusqu’à pousser des élèves à arrêter leurs études ou, pire, à mettre fin à leurs jours. Les deuxièmes articles publiés sur Libération et Gamekult reviennent au travers de nombreux témoignages sur ces discriminations et sur l’inaction des directions d’écoles, quand elles ne sont pas elles-mêmes à l’origine de celles-ci.

Car les écoles ont beaucoup à faire pour arrêter de discriminer les étudiant‧es. Et ce dès la sélection d’entrée, puisqu’il nous a été rapporté à plusieurs reprises que des écoles ont sciemment mis de côté des candidatures de personnes handicapées et/ou LGBT, considérant que les intégrer à l’école serait « trop compliqué » et que « ça pose des problèmes ». Cette pratique intolérable et bien sûr illégale montre que les problèmes commencent avant le début des études, mais ils ne s’arrêtent bien sûr pas là. Les personnes handicapées, souffrant de maladie chroniques ou, de manière générale, qui ont besoin d’une adaptation des environnements et rythmes d’études, temporairement ou de manière permanente, font quasi systématiquement face à un mur : les écoles attendent d’elles qu’elles s’adaptent ou qu’elles quittent l’établissement. Celleux qui essaient de faire part des discriminations subies aux administrations ne sont au mieux pas écouté·es, au pire voient leur parole minimisée, remise en cause, ainsi que leur avenir au sein de l’école.

S’exprimer de manière isolée n’est en effet pas toujours sans conséquence. Trop souvent, les auteur‧ices de discriminations (professeur‧es, administratif‧ves, étudian‧tes) sont protégé‧es par les directions pédagogiques qui n’imposent aucune sanction, mettent à l’écart les victimes au lieu de les protéger, etc. De nombreuses directions pédagogiques participent activement à la discrimination de cette manière, mais aussi en étant acteur direct de celles-ci. Les témoignages de directeur‧ices pédagogiques expliquant aux femmes qu’elles n’ont pas leur place dans le jeu vidéo, à des personnes handicapées qu’elles doivent s’adapter à l’industrie et non l’inverse ne sont pas si rares, certaines écoles en viennent même à refuser des validations d’année sans justifications tangibles, autres que la pure discrimination. Les cas de favoritisme au détriment de personnes marginalisées et/ou qui s’expriment sur les problèmes des écoles sont également légion.

On trouve également dans les écoles beaucoup de sexisme venant de professeurs hommes envers des étudiantes, et bien trop souvent des professeurs qui utilisent l’ascendant que la relation élève/professeur leur donne pour tenir des propos malvenus ou entretenir des relations sexuelles ou romantiques asymétriques et abusives avec des étudiantes, sans subir de conséquences. Ces comportements de prédation envers des femmes plus jeunes et plus vulnérables par leur position hiérarchique rappellent les comportements qu’on peut constater en entreprise et dans les cercles de socialisation de travailleur‧ses du jeu vidéo. En école ils sont facilités, entre autres, par le manque de préparation et de formation des intervenant‧es, qui ne sont parfois même pas conscients de la potentielle dangerosité de cette relation élève/professeur, et pensent qu’iels peuvent se comporter avec les étudiant‧es comme s’iels étaient leurs ami·es.

Il arrive aussi souvent que les étudiant‧es suivent à leur tour les exemples toxiques de leurs professeur‧es, et perpétuent des formes de discrimination et harcèlement fréquentes dans les milieux socialement homogènes, comme l’industrie du jeu vidéo. Cela arrive à l’école, mais aussi sur les réseaux sociaux et les canaux de communication entre étudiant‧es comme les serveurs Slack, Discord, etc. qui existent très souvent dans les sphères étudiant‧es et que les écoles font semblant d’ignorer pour se dédouaner. Dans un témoignage que nous avons reçu, un·e étudiant·e subit par exemple des « humiliations (de plus en plus fréquentes) sur le Discord de l’école » : des agressions transphobes, sexistes, auxquelles les membres de la direction « disaient qu’iels n’y pouvaient rien car ce n’était pas dans le cadre de l’école ».

Conditions de travail des professeur‧es dégradées

Ces constats côté étudiant‧es s’accompagnent, sans surprise quand on est un peu familier avec les conditions de travail dans le jeu vidéo et dans l’enseignement supérieur, de constats similaires côté professeur‧es : les écoles peuvent être un enfer pour les étudiant·es mais AUSSI pour les professeur·es et intervenant·es. Contrats précaires, très bas salaires, manque de temps pour préparer les cours et les corrections, peu voire pas de coordination pédagogique, pressions hiérarchiques, licenciements illégaux : les conditions de travail y sont excessivement mauvaises.

De manière encore plus disproportionnée que dans les studios de jeux et autres sous-secteurs du jeu vidéo, les professeur‧es des différents disciplines du jeu vidéo sont largement employé‧es via des contrats précaires. Contrats à Durée Déterminée ne couvrant qu’un semestre, heures de cours payées a posteriori en freelance, etc. : pour beaucoup, il est impossible de se projeter sur le suivi de leur enseignement et de leurs élèves, et encore moins sur leurs propres finances ou la construction d’une carrière. Cette précarité gêne également les professeur‧es qui voudraient améliorer les cursus, puisque les écoles peuvent simplement ne pas renouveler les contrats des personnes qui voudraient leur tenir tête.

Ainsi cette précarité sert de moyen de pression pour forcer les travailleur‧ses à accepter des conditions de travail intolérables. Les écoles de jeu vidéo proposent souvent des salaires inférieurs aux autres secteurs, qui paient déjà très mal, même en ne prenant en compte que les heures de cours. Car, pour une heure de cours, il faut aussi compter des heures de préparation, de mise en forme du cours, de correction des exercices, de discussions avec les étudiant‧es, mais aussi de transport et d’heures d’attente entre des cours (sans accès à un poste de travail). Rapporté aux nombres d’heures réelles effectuées, les salaires sont si bas qu’ils ne permettent pas de vivre.

« Quelle que soit l’expérience et la qualité de l’enseignant, si il n’est pas d’accord avec ses conditions de travail, il n’a qu’à prendre la porte à la fin de son CDD et il sera remplacé par un enseignant plus jeune qui acceptera le job et ses conditions de travail. (…) On m’a quasiment toujours fait signer mes contrats de travail après que les cours aient commencé. Faire signer les contrats très tard est aussi un moyen de pression pour les RHs. Les enseignants sont au pied du mur. »

Quand ces conditions ne sont pas acceptées par les intervenant‧es, les écoles leur mettent encore plus la pression, n’hésitant par exemple pas à recourir au chantage émotionnel en leur reprochant d’abandonner les élèves. Et s’iels ne cèdent pas, iels sont remplacé·es. Quand iels s’inquiètent des problèmes de l’école ou remontent les problèmes des étudiant‧es à leur hiérarchie, leurs plaintes et même leurs suggestions bénéfiques pour les élèves sont au mieux ignorées par les directions d’écoles, au pire réprimées par du harcèlement et des licenciements illégaux. Nos constats montrent que ce dernier point est particulièrement vrai dans les cas de discriminations, faisant des écoles des complices directs de celles-ci.

Si ces conditions de travail n’excusent pas les comportements que peuvent avoir certain‧es professeur‧es, elles peuvent les expliquer en partie, et montrent à quel point le système entier est vecteur de discriminations et d’abus. Elles expliquent également en partie la faible qualité d’enseignement, puisqu’elles ne permettent pas aux professeur‧es et intervenant‧es de rester longtemps, d’accumuler de l’expérience et de suivre les étudiant‧es d’une année sur l’autre. On peut noter encore une fois la boucle : les bas salaires de l’industrie encouragent les jeunes travailleur·ses à accepter des contrats précaires dans les écoles pour compléter leurs revenus, et ce peu importe les conditions (parfois, ironiquement, pour rembourser le prêt contracté pour payer les frais d’inscription à cette même école).

Les écoles ne préparent pas du tout à l’entrée sur le marché du travail

Cet article est une sous-partie d’un grand dossier sur les études de jeu vidéo publié par le STJV. Vous retrouverez le sommaire de ce dossier, et les liens vers toutes ses parties, ici : https://www.stjv.fr/2021/09/dossier-sur-les-etudes-de-jeu-video/

L’apprentissage par projet est souvent une excuse pour « étoffer le portfolio » des étudiant‧es sans que les écoles ne les aiguillent plus que ça dans ce que cela signifie, ou une manière d’apprendre à produire « comme dans l’industrie » sans aucune supervision pédagogique, et donc sans avoir de retours sur l’adéquation entre leur apprentissage et la réalité de l’industrie. Cet état de fait, très largement généralisé dans les écoles de jeu vidéo, s’explique d’une manière relativement simple : les écoles de jeu vidéo ne préparent pas les étudiant‧es à l’entrée sur le marché du travail.

Cela commence déjà par l’inadéquation entre le nombres d’étudiant‧es et le nombre de postes existants. Il nous paraît important de marteler que les filières jeu vidéo forment plus de personnes qu’il n’y a d’emplois. Si cela est vrai dans la quasi totalité des spécialités, ça l’est d’autant plus dans certaines filières comme le game design, ou dans les filières qui exploitent l’attrait pour les spécialités émergentes, comme en ce moment le narrative design.

En particulier, la plupart des promotions sont très déséquilibrées au niveau des spécialités proposées, en étant souvent composées à 50% de game designers et autres spécialités de design. Hors il y a relativement peu de postes à pourvoir dans ces spécialités dans l’industrie française et à l’international. Ces incohérences avec le marché du travail forcent les étudiant‧es à se sur-spécialiser, à acquérir une double compétence par leurs propres moyens, voire même à se réorienter complètement ou à laisser tomber l’idée de travailler dans le jeu vidéo pour pouvoir espérer trouver un emploi.

Car, même dans la meilleure des écoles, rien ne garantit aux étudiant·es qu’iels trouveront un poste dans l’industrie du jeu vidéo, s’iels en ont encore envie après avoir survécu aux conditions de leurs années d’études. Les ancien·nes étudiant·es sont nombreux·ses à faire ce constat elleux-mêmes :

« Aujourd’hui, sur une classe de 35 nous sommes peut être 7 ou 8 encore dans le JV ».

Le baromètre du Jeu Vidéo 2020 publié par le SNJV, une organisation de lobbying patronale regroupant aussi les écoles, nous apprend que 57 % des étudiant‧es trouvent un emploi dans le jeu vidéo dans l’année qui suit la fin de leurs études, ce qui est bien loin des 80-90% de placement avancés par l’extrême majorité des écoles. Ces chiffres d’emploi sur un ou deux ans, quand il y en a, sont sciemment faussés par les directions d’écoles pour impressionner : ils prennent en compte les ancien‧nes étudiant·es qui ont été poussé‧es à prendre un statut d’auto-entrepreneur sans se soucier de savoir s’iels peuvent en vivre (ce qui est rarement le cas en sortie d’école), et les emplois des ancien‧nes qui se sont réorientés vers d’autres industries.

Certaines écoles mettent même en place un chantage au chômage dès la formation, encourageant les élèves à accepter des stages qui relèvent de l’exploitation et/ou à faire des stages sans convention, insinuant qu’il faut tout accepter sans broncher pour faire des jeux vidéo. Il arrive même que certaines d’entre elles leurs fournissent de faux documents, notamment pour satisfaire les demandes (illégales) des entreprises.

Pour rappel, le stage n’est pas un contrat de travail, il n’est pas censé remplacer un poste permanent. Un suivi doit être effectué par une personne de l’équipe pédagogique, avec un entretien en cours de stage, pour s’assurer de son bon déroulé (vérifier par exemple que l’étudiant·e a un mentor, que l’entreprise lui fournit le matériel et qu’iel est dans de bonnes conditions pour travailler). Les stages sont très encadrés par la loi, cette fiche du ministère du travail regroupe les informations importantes.

Les écoles donnent régulièrement de très mauvais « conseils » à leurs étudiant‧es, les encourageant à entrer dans l’industrie en acceptant des statuts très précaires, des emplois non payés ou sous payés. Parmi les propos qui nous ont été rapportés, ces mots glaçants d’un membre d’une équipe pédagogique à destination d’une promotion entière :

« Pour se faire embaucher à coup sûr, vous prenez le statut d’auto-entrepreneur et vous demandez la moitié d’un smic horaire pour un temps plein ».

Les mensonges, explicites ou par omission, des formations privées jouent sur le côté cool de l’industrie du jeu vidéo. Elles vendent du rêve en parlant d’industrie riche, en pleine croissance et où la créativité est sans limite, alors que les étudiant·es découvriront une fois sorti·es d’école que les salaires sont bas, les postes fantasmés peu nombreux, les possibilités d’avancer dans leur carrière faibles, et que la plupart des postes sont dans des entreprises annexes à la production de jeux grand public.

Beaucoup d’entre elleux auront contracté des emprunts pour payer les prix délirants des études, qu’iels auront alors du mal à rembourser à cause de la précarité de l’industrie, des salaires trop bas, ou carrément parce qu’iels n’auront pas trouvé d’emploi. Les quelques un‧es qui arriveront à décrocher un travail dans le jeu vidéo libéreront, en se réorientant après quelques années vers des industries aux statuts et salaires plus intéressants, la place aux étudiant·es d’écoles qui inondent le marché à leur tour… Ainsi, la boucle est bouclée.

Nos interventions en école, nos discussions avec des étudiant‧es et des professeur‧es, nous ont révélé que les étudiant‧es ne sont quasiment jamais au courant des bases du droit des stages et du travail quand iels se mettent à en chercher un, parfois ne sachant même pas réellement la différence entre un statut salarié et un statut auto-entrepreneur. Ces lacunes montrent un manque d’enseignement, car les étudiant·es devraient être préparé‧es pour pouvoir se défendre à la sortie d’école, ne serait-ce que pour leur permettre de connaître les différents statuts de travail et reconnaître un contrat abusif… Il est essentiel que le droit du travail et les notions économiques liées au salaire fassent partie intégrante de la formation de tout organisme d’enseignement supérieur.

Les conditions d’études sont très souvent dégradées

Cet article est une sous-partie d’un grand dossier sur les études de jeu vidéo publié par le STJV. Vous retrouverez le sommaire de ce dossier, et les liens vers toutes ses parties, ici : https://www.stjv.fr/2021/09/dossier-sur-les-etudes-de-jeu-video/

Avertissement : Dans cet article nous abordons des situations d’abus, harcèlements, agressions, suicide, etc. qui peuvent être violentes à la lecture pour des personnes qui en ont été victimes.

Tout d’abord, et à l’image de l’industrie du jeu vidéo, les conditions d’études dans les écoles et formations de jeu vidéo sont mauvaises. Si elles varient d’une école, d’une formation et d’une année à une autre, elles en viennent à impacter chaque étudiant‧e au cours de sa scolarité.

Rien qu’au niveau matériel, le STJV a pu recenser de nombreux défauts : du matériel informatique et du mobilier de bureau obsolète ou cassé, parfois tout simplement non fourni, accentuant les différences entre élèves, les plus aisé‧es ayant accès à du matériel personnel leur permettant de travailler, tandis que les plus pauvres doivent se démener avec le peu qu’on met à leur disposition. Certaines écoles vont jusqu’à mentir lors des journées portes-ouvertes (JPO) : on nous a rapporté des cas d’écoles qui louent du matériel récent uniquement pour les JPO, dans le but d’impressionner parents et futur‧es élèves. Ailleurs, des infrastructures souffrant d’un taux d’humidité important, d’une mauvaise aération ou n’ayant carrément pas de chauffage nuisent directement à la santé des élèves.

Bien que cela semble commencer à être moins courant, de nombreuses écoles ne fournissent pas de licences pour les logiciels nécessaires aux cours. L’installation de logiciels crackés (piratés) sur les ordinateurs de l’école ou directement sur ceux des étudiant‧es est une pratique maintes fois abordée par les témoins. Comme dans ce témoignage d’un‧e ancien‧ne étudiant‧e d’ISART Digital :

« Un des passages obligatoires avant la rentrée scolaire consistait à apporter son PC personnel au service informatique de l’école, pour que celui-ci installe plusieurs versions crackées de logiciels -normalement payants- dessus. »

Comme rapporté en détails dans les premiers articles publiés chez Gamekult et Libération, la charge de travail est bien trop élevée dans les formations de jeu vidéo et d’animation, copiant ainsi les pires travers (le « crunch ») que l’on peut trouver dans l’industrie. Le manque de coordination pédagogique entraîne une accumulation de projets qui ne peuvent être réalisés et rendus dans des conditions normales et les dates de rendu choisies (juste après des weekends ou vacances) poussent au surtravail. Quand ce ne sont pas les directions pédagogiques elles-mêmes qui poussent les étudiant‧es à se tuer au travail : nous avons pu consulter de nombreux mails et messages envoyés à des élèves dans lesquels iels sont poussé‧es à travailler toujours plus, et où les nuits blanches de travail sont présentées comme la norme, ou même un idéal à atteindre.

Les attentes en terme de qualité et de quantité sont aussi bien trop élevées, et dépassent ce qu’il serait normal d’attendre d’étudiant‧es en plein apprentissage. Les écoles et professeur‧es les poussent autant que possible à « produire » des projets d’études qui prennent la forme de produits finis. L’aspect pédagogique des exercices passe complètement au second plan : ne compte plus que la marketabilité des projets (et donc du travail gratuit des étudiant·es), sans se soucier des conséquences sur les conditions d’études et de vie. Le surtravail est mauvais pour la santé, physique ET mentale, et est particulièrement dangereux à un âge de construction sociale et intellectuelle.

Sur le plan de la sociabilisation durant les études, les mêmes gros points noirs ont été retrouvés dans chacune des formations pour lesquelles nous avons reçu des témoignages. Sexisme, racisme, homophobie, transphobie et toutes autres sortes de discriminations basées sur l’identité, la culture, le lieu de vie, le handicap, la santé, etc. des étudiant‧es sont présentes partout, à divers degrés. Sous couverts de « blagues » s’installe de manière récurrente une atmosphère rappelant à toute personne sortant de la norme de l’industrie qu’elle n’est pas la bienvenue. Et cela va parfois jusqu’à des discriminations sur les notes et les passages en année supérieure. Les faits de harcèlement, commis par des élèves, professeur‧es, intervenant‧es et/ou les directions, ne sont pas rares et poussent chaque années des étudiant‧es à abandonner leurs études, dans la dépression ou, dans des cas plus rares et plus extrêmes, au suicide. Les deuxièmes articles publiés par Libération et Gamekult abordent le cas du sexisme de manière plus approfondie.

Ces exactions sont notamment rendues possibles par l’absence, bien trop courante, de suivi des étudiant‧es. Le manque de temps et de moyens alloués au corps professoral en est en partie responsable, et cette situation est causée par l’inaction de directions qui considèrent tout ce suivi comme « annexe », niant que la vie étudiante fait partie intégrante des cycles d’études. Des écoles vont jusqu’à considérer que tout ce qui se passe en dehors des rendus de projets et notes ne les concernent pas : cela a parfois déjà été dit explicitement à des professeur·es et étudiant·es. Cela leur permet de balayer la réalité et la responsabilité directe des écoles dans la vie des étudiant·es, que ce soit leurs besoins personnels (handicap, situation sociale, santé, précarité financière, et.) et leurs relations avec les autres étudiant·es (sur les réseaux sociaux, entre les cours, dans des soirées et événements, …). Les conséquences de cette déresponsabilisation sont terribles, menant des étudiant·es au suicide quand la direction de leurs écoles ignore délibérément les signalements répétés de campagnes de harcèlement ou d’agressions.