Cet article est une sous-partie d’un grand dossier sur les études de jeu vidéo publié par le STJV. Vous retrouverez le sommaire de ce dossier, et les liens vers toutes ses parties, ici : https://www.stjv.fr/2021/09/dossier-sur-les-etudes-de-jeu-video/
Si les écoles sont souvent les premières responsables des problèmes rencontrés, elles sont loin d’être les dernières à tenter d’y apporter des solutions. Bien conscientes des risques économiques liées à une perte de réputation publique — ou pour les membres des directions, les risques pour leur carrière — elles ont depuis longtemps trouvé des leviers permettant de s’en protéger.
Le premier d’entre eux, dont nous avons parlé tout au long de la première partie de ce dossier, est bien entendu la répression. Le « meilleur » moyen de protéger sa réputation est d’empêcher l’expression de tout fait ou opinion qui pourrait l’entacher. Intimidation d’étudiant‧es, notamment via des règlements intérieurs contrevenants aux libertés fondamentales, licenciements et renvois illégaux de personnes considérées comme nuisibles, recours à des agences de gestion de la communication de crise pour allumer des contre-feux et enterrer l’information, procès baillons … le champ d’action en ce sens est malheureusement large et fortement employé.
Ces points sont ceux contre lesquels les organisations de travailleur‧ses et étudiant‧es, tel que le STJV, luttent quotidiennement dans leurs actions : nos buts sont d’empêcher les entreprises (et donc les écoles) d’abuser de leur pouvoir, de créer un contre-pouvoir bénéficiant à tous les travailleur‧ses, actuel‧les et futur‧es, protégeant les lanceur‧ses d’alerte et, à terme, de donner tout le pouvoir aux travailleur‧ses.
Parmi les acteurs extérieurs du contrôle des formations privées, on retrouve également l’État. Par les mécaniques de subventions des écoles mais aussi, et surtout, par son système de certification des diplômes via le Répertoire National des Certifications Professionnelles (RNCP). Ces certifications sont très importantes, car un diplôme non reconnu par l’État ne « compte pas » administrativement, ce qui a de nombreuses répercussions :
- sans crédits ECTS, il est très difficile d’obtenir des équivalences afin de poursuivre ses études ailleurs, que cela soit dans le public ou à l’étranger ;
- certaines aides d’État sont conditionnés à la validation d’un niveau d’étude reconnu ;
- certaines aides CNC pour les créateur‧ices et studios de jeu vidéo indépendants nécessitent l’obtention d’un diplôme reconnu d’une petite sous-sélection d’écoles ;
- l’obtention de visas, que cela soit en France pour y immigrer, ou à l’étranger pour y émigrer, est souvent conditionnée au niveau d’études et donc à la reconnaissance des diplômes obtenus ;
- le statut professionnel et tout ce qui en découle (salaire, retraite, congés, etc.) peut aussi être lié au niveau d’études reconnu.
Si le contrôle des enseignements par une autorité publique externe aux entreprises d’éducation privées est utile et même nécessaire, ces certifications ne sont pas sans faille, et les écoles n’ont de cesse de chercher à les détourner ou les contourner. Les appellations de diplômes sont parfois trompeuses, à l’exemple du terme « Mastère » qui, à la différence du terme « Master », n’est pas une appellation officielle et ne garantit donc pas la qualité ni la reconnaissance du diplôme. Les certifications données peuvent ne pas correspondre à la formation, comme c’est le cas dans une école parisienne où le diplôme de Game Designer délivré a une certification RNCP de « designer interactif ». Mais elles peuvent aussi avoir expiré, malgré leur mise en avant dans la communication des écoles, faisant prendre le risque aux élèves d’obtenir un diplôme non reconnu à la sortie.
Les lobbies patronaux souhaitant au maximum éviter l’intervention de l’État dans leurs affaires, ils feignent souvent de prendre les devants sur la législation pour faire bonne figure et négocier une dérégulation de leur secteur, au nom d’une imaginaire « auto-régulation ». L’un des exemples dans l’industrie du jeu vidéo concerne les systèmes d’évaluation des jeux et de recommandations d’âges, dont la gestion par ces lobbies est partiellement responsable de l’apparition incontrôlée de mécaniques de jeu d’argent dans des productions récentes. Ceci exposant notamment des enfants à une pratique pourtant énormément contrôlée en temps normal. En ce qui concerne les études de jeu vidéo en France, cette stratégie se traduit par divers labels, dont principalement le Réseau des Formations aux Métiers du Jeu Vidéo (RFMJV, anciennement REJV, Réseau des Écoles du Jeu Vidéo).
Mais, à l’instar de tous les labels privés, celui-ci n’est qu’une façade pour faire de la communication. Il est impossible de lui faire confiance et les personnes et organisations derrière le savent très bien, allant jusqu’à, lorsqu’iels sont confrontés à son propos, faire mine de rejeter le titre de « label » et toute responsabilité qui irait avec. Dans un article de Libération d’Avril 2021, les journalistes rappellent ainsi que « les conditions d’entrée [au RFMJV] n’impliquent aucun contrôle sur le contenu de l’enseignement et le Syndicat National du Jeu Vidéo insiste auprès de nous sur le fait que ce réseau n’est en rien un label ».
Les défauts des labels ne sont pas uniquement dus aux organisations derrière ceux-ci. S’assurer d’une qualité suffisante au sein des formations représente un travail colossal, hors de portée d’acteurs privés, qui de toute façon ne permettrait que de réaliser des constats a posteriori . Il est tout simplement impossible de garantir que les informations sont à jour, véridiques ou complètes. C’est pour cela que, plutôt que de nous reposer sur des outils de communication nécessairement imparfaits, nous préférons la mise en place de systèmes empêchant que les écoles soient juges et parties, et nous assurer que les problèmes et mensonges dont nous parlons ne puissent même pas avoir lieu.
Au delà des labels, les entreprises, et donc les écoles, ont bien d’autres outils à leur disposition. Les pratiques consistant à communiquer à outrance sur le moindre petit effort, réel ou non, à reprendre à son compte les luttes de minorités tout en annihilant leur message de fond, ou à exploiter les personnes marginalisées sont malheureusement courantes. Elles sont plus connues sous des noms comme pinkwashing ou socialwashing. Inauguration d’un bâtiment accessible aux personnes à mobilité réduite quand le reste du campus ne l’est pas et ne le sera jamais, médiatisation d’une semaine de sensibilisation aux discriminations de genre quand l’école ferme les yeux sur le harcèlement sexuel qui y a lieu, interdiction du « crunch » dans un établissement laissant explicitement les salles de projet accessibles 24h24 7j/7 et surchargeant les étudiant·es… Les exemples sont nombreux. La mise en avant des 5% de choses qui vont bien vient souvent, parfois à dessein, cacher les 95% qui ne vont pas derrière.
Si l’utilité de la visibilisation des discriminations, de la représentation des personnes marginalisées et des « role models » a été démontrée, cela n’est que la partie émergée de l’iceberg, et ne saurait jamais remplacer la lutte contre les discriminations en interne et de manière systémique. Attirer les personnes marginalisées est un petit pas peu coûteux à mettre en place, empêcher les discriminations à leur encontre tout au long de leurs études et de leur carrière, qu’on en soit l’auteur‧ice ou que cela vienne de quelqu’un d’autre, nécessite bien plus d’efforts.
À ce titre, la charité est un bon exemple de dissonance entre les intentions affichées publiquement et la porté des effets réels. Par exemple, mais ce n’est pas le seul cas, la positivité des effets directs d’une bourse étudiante privée sont totalement indéniables, et on peut reconnaître la mise en lumière du problème matériel de l’accès aux études privées qui en résulte. Mais on peut aussi regretter les bien plus grands bénéfices qu’elle apporte aux entreprises de l’industrie, et aux personnes qui surfent sur l’image positive d’une telle entreprise pour se mettre en avant malgré tous les agissements qui pourraient leur être reprochés.
Nombre d’écoles et de studios ont rapidement sauté sur l’occasion pour se payer une image « humaniste », à grand renfort de dons financiers bons marché par rapport à leurs budgets annuels : leur défiscalisation signifie que 60% sera en réalité payée directement par l’Etat. Les motivations des soutiens institutionnels peuvent ainsi être sérieusement remises en cause quand on y trouve des écoles qui discriminent explicitement des étudiant‧es lors de leur sélection et continuent chaque année de gonfler le prix d’inscription, ou des entreprises qui couvrent les discriminations matérielles et personnelles qu’elles imposent à leurs employé‧es marginalisé‧es.
Ces dernières années, de nombreuses écoles ont aussi ajouté à leur arsenal de communication diverses chartes éthiques. Ces chartes consistent en une série de propositions visant à améliorer la mixité et la diversité au sein des écoles, et peuvent venir s’ajouter aux règlements intérieurs de celles-ci. Sur le papier, rien de négatif donc, et les écoles n’ont pas hésité à mettre en scène la signature des ces chartes lors d’événements importants pour l’industrie française, en présence de ministres, ou à communiquer intensivement sur leur mise en place auprès de leurs étudiant·es et lors de journées porte-ouvertes.
Sauf que ces chartes ne sont que des notes d’intention, des recommandations. Elles ne sont pas des outils qui permettent de résoudre les problèmes, seulement des outils de communication qui permettent de dire qu’on a l’intention de les résoudre. C’est pourquoi, et malheureusement sans surprise, on trouve des directions d’écoles qui ont signé une charte éthique mais continuent d’étouffer les problèmes en leur sein et de réprimer les personnes qui cherchent à les régler. Parmi les premières écoles à communiquer sur de telles chartes, certaines auraient ainsi activement protégé des élèves ou professeur·es agresseur·ses sexuel·les dans l’année qui a suivi la mise en place de leurs chartes respectives.
Les comités éthiques, dont le nom et la composition peuvent changer localement, sont une mesure phare qu’on trouve dans la majorité des chartes adoptées récemment. Quand ils sont mis en place, ils sont généralement composés d’étudiant‧es et professeur‧es volontaires et peuvent être chargés de recueillir les témoignages et plaintes, discuter des problèmes de l’école, et/ou proposer des solutions à la direction. L’existence de telles instances représentatives est une bonne nouvelle, car c’est une avancée significative dans la représentation étudiante et la démocratie en école.
Mais un certain nombre de biais demeurent, dont il faut être conscient. La composition de ces comités, nécessairement uniquement des personnes issues de l’école et mélangeant professeur‧es et étudiant‧es, peut mener à des difficultés de jugement, comme lors d’un cas récent où un comité d’éthique n’a initialement pas voulu étudier en détail des signalements vis-à-vis d’un professeur ancien et haut placé, ou encore lorsque les étudiant‧es de ces comités voient leur droit à la parole retiré (volontairement ou non), par la supériorité hiérarchique des professeur‧es sur elleux. Les membres de ces comités sont bien souvent temporaires, empêchant un suivi sur le long terme bien souvent nécessaire, et empêchant d’identifier les situations qui se répètent : peu importe les solutions pansements, les obstacles que rencontrent les personnes marginalisées sont systémiques. Mais dans la majorité des cas, le problème principal reste le manque de moyens et de pouvoir alloués à ces comités, et l’inactivité ou l’inutilité qui en résulte.
Cela constitue en réalité le problème principal derrière toutes les tentatives de résolution des problèmes. Les actions et régulations sans volonté d’allouer des moyens pour assurer leur respect et bon déroulement ne sont dans les faits que des outils de propagande et de camouflage pour le patronat (ou l’Etat, selon le type de régulation).
Comme dans quasiment tous les domaines et secteurs, il faut avant toute chose plus de moyens. Il existe déjà des lois, décrets et autres circulaires qui prennent en compte les problématiques existantes : on n’a pas besoin d’une loi (sans parler d’une charte) de plus pour (ré)interdire le viol, le harcèlement, le non-respect des contrats, l’abus de confiance, etc. Avant de parler de plus de régulation, il faudrait déjà appliquer celles qui existent déjà.