Le STJV relaie cette tribune de nos camarades qui travaillent en localisation.
Aujourd’hui, et en réponse à l’appel du Syndicat des Travailleurs et Travailleuses du Jeu Vidéo, nous, linguistes, décidons de nous joindre au mouvement national de grève.
L’industrie du jeu vidéo souffre actuellement de nombreux problèmes, et la branche localisation n’est pas en reste.
Nous demandons de meilleures conditions de travail afin de garantir des traductions respectueuses de notre déontologie tout comme du public.
De meilleurs tarifs
Il est de plus en plus difficile de vivre de la traduction. Bien souvent, pour obtenir du travail, nous devons nous plier à des tarifs dégressifs en fonction de « l’effort fourni », sans que notre clientèle ne nous présente de méthodologie justifiant ces calculs. Ce problème concerne à la fois la traduction humaine et la post-édition de traduction automatique, le tout dans un contexte où les tarifs pleins en JV – 0,08 € du nouveau mot, dans le meilleur des cas – sont dans la fourchette basse par rapport à l’ensemble de la profession :
![Tarif par catégorie de clients - graphique représentant la distribution des prix au mot selon les clients Le graphique présente les tarifs suivants : GLOBAL (tout confondu) : entre 0 et 0,4 € au mot, avec une moyenne à 0,13 € au mot. Client direct (hors droits d'auteur : entre 0 et 0,5 € au mot, avec une moyenne à 0,15 € au mot. Agence de traduction : entre 0 et 0,4 € au mot, avec une moyenne à 0,11 € au mot. Collègue : entre 0 et 0,2 € au mot, avec une moyenne à 0,12 € au mot. Maisons d'édition etc : entre 0 et 0,3 € au mot, avec une moyenne à 0,10 € au mot. Traduction certifiée : entre 0,1 et 0,2 € au mot, avec une moyenne à 0,15 € au mot. Autre : entre 0,1 et 0,25 € au mot, avec une moyenne à 0,14 € au mot.](https://www.stjv.fr/wp-content/uploads/2025/02/10022025_GG25_loca.png)
Tiré de l’étude de la SFT de 2022.
Les tarifs extrêmement bas sur certains projets ne nous incitent pas à nous engager durablement dans leur localisation, ce qui entraîne une grande rotation des effectifs, au détriment de la cohérence et de la qualité.
Des deadlines raisonnables
Comme dans le reste de l’industrie, l’urgence devient la norme, ce qui implique aussi de rogner sur d’autres étapes, comme la relecture. Par ailleurs, la date de rendu prend rarement en compte la difficulté réelle du projet, mais plutôt une moyenne de nombre de mots par jour. Oui, la plupart d’entre nous en traduisons entre 1 500 et 3 000. Mais comme pour toute moyenne, la marge de variation est non négligeable. Les dates de rendu doivent être négociées et non imposées afin d’éviter une précipitation qui nuira toujours à la qualité.
Du contexte
Combien de fois avons-nous constaté des traductions approximatives en jouant à un jeu, et supposé que l’équipe de localisation n’avait pas tout le contexte à disposition ? Combien de fois par projet envoyons-nous des questions à notre clientèle en réclamant des éclaircissements ? ll s’agit parfois de centaines de questions qui peuvent rester sans réponses, quand nous ne recevons pas les informations trop tard pour pouvoir les implémenter.
Nous travaillons trop souvent à l’aveuglette, ce qui occasionne une perte de temps pour nous et pour celles et ceux qui doivent répondre à nos questions. La marge d’erreur induite par ce jeu de devinettes est tout simplement inadmissible dans un contexte professionnel.
Plus de communication
Une bonne traduction est une traduction cohérente, précise et fluide dans son ensemble. Pour y parvenir, il faut rendre possible la communication au sein des équipes de localisation, mais aussi entre les équipes de localisation et les équipes de développement.
Chaque projet nécessite une documentation complète fournie par les équipes de développement (une présentation du jeu, des mécaniques de gameplay et des personnages, mais aussi une liste des contraintes propres au projet, comme les limites de caractères, les caractères interdits, le type de variables utilisé, etc.). Cependant, même quand nous disposons de ces informations, des problèmes et des interrogations surgissent inévitablement au fil de la traduction. Nous devons donc pouvoir communiquer facilement avec les équipes afin de surmonter ces obstacles au fur et à mesure.
Ne pas faire l’impasse sur la relecture
Il s’agit d’une étape indispensable trop souvent négligée. Un regard extérieur et expert constitue le seul moyen de garantir une traduction dépourvue de coquilles, d’incohérences et autres erreurs qui apparaissent fatalement, surtout lorsque l’on travaille, seul ou à plusieurs, sur un volume important et/ou dans des délais courts – sachant que ces conditions limitent presque toujours notre vision d’ensemble du projet.
Figurer dans les crédits
Notre portfolio est notre identité professionnelle. Or, des accords de confidentialité absurdes nous empêchent trop souvent de mentionner notre participation à la localisation d’un jeu. Dans ces cas-là, nous n’avons aucun moyen de prouver que nous avons travaillé sur tel ou tel projet et donc acquis de l’expérience. De plus, il nous semble anormal de ne pas citer les linguistes, qui ont participé à la production d’un jeu au même titre qu’une équipe de test ou de marketing, par exemple.
Privilégier la traduction humaine
Rapidité, efficacité, délégation des tâches « pénibles » pour laisser plus de place à la créativité… La traduction automatique ignore par essence tout contexte et ne tient pas ses promesses. Au contraire, la relecture des traductions automatiques est déprimante, ennuyeuse, difficile et chronophage. Et cette activité divise par deux notre rémunération, sans pour autant réduire la charge de travail.
La traduction automatique est l’exact inverse de ce que la localisation est censée accomplir : elle lisse, standardise, s’avère incapable de retranscrire les particularités culturelles, littéraires ou linguistiques tout comme de transmettre la moindre émotion.
Éviter le recours à l’anglais pivot
Lors de la localisation de nombreux projets asiatiques, allemands, polonais, etc., une traduction préalable en anglais est souvent effectuée afin de réduire les coûts : en effet, les traductions à partir de l’anglais sont généralement payées à un tarif inférieur. Hélas, indépendamment du travail réalisé par nos collègues anglophones, cette pratique nuit à la qualité de la localisation. Il n’est pas rare que le texte anglais soit retraduit plusieurs fois, en modifiant complètement le sens de certaines phrases, les noms des personnages et des lieux, ce qui entraîne un grand nombre d’incohérences.
Par ailleurs, la double traduction pose des questions déontologiques : notre métier implique de faire des choix, et donc de privilégier certains éléments au détriment d’autres. Traduire le texte deux fois, c’est prendre le risque de perdre d’autant plus d’éléments et de nuances.
Nous souhaitons également profiter de cette tribune pour affirmer notre solidarité avec les salarié·es du jeu vidéo. Ensemble, nous poursuivrons la lutte afin de produire de meilleurs jeux dans un environnement plus sain et économiquement pérenne. Continuons à faire vivre cette industrie créative et humaine qui mérite mieux qu’une simple course au profit.