Cet article est une sous-partie d’un grand dossier sur les études de jeu vidéo publié par le STJV. Vous retrouverez le sommaire de ce dossier, et les liens vers toutes ses parties, ici : https://www.stjv.fr/2021/09/dossier-sur-les-etudes-de-jeu-video/
Quelle que soit l’origine d’une amélioration de la situation — par une pression globale au niveau de la société, par une soudaine prise de conscience des directions d’école, ou par activisme en interne, les changements effectifs devront concerner majoritairement l’organisation hiérarchique et politique de ces entreprises. En premier lieu, les cours dispensés.
Dans nombre de formations, en particulier privées, on constate une surabondance de cours techniques, centrés sur la pure application, par exemple de l’utilisation d’un logiciel précis. Les écoles et entreprises s’entendent, plus ou moins tacitement, pour former de futur·es employé·es dociles et assigné·es à un rôle, injustifié, de simple exécutant·e. Si l’on ne leur donne pas une ouverture sur le monde créatif, théorique, technologique dans et hors du pur jeu vidéo, on les contraint à rester à la merci des entreprises. En n’étant considéré·e, et parfois en ne s’envisageant soi-même, que comme une énième personne cliquant sur des boutons, on s’enferme dans un rôle en théorie remplaçable à l’envi par la multitude de candidatures formées à la même enseigne. Et en n’ayant appris que des outils techniques très précis, il devient d’autant plus difficile de faire valoir son expérience là où ils ne seraient pas ou plus utilisés.
Il est donc urgent d’élargir le champ des matières enseignés, et d’enseigner dans l’intérêt des étudiant·es plutôt que dans celui des entreprises. Cela passera notamment par une ouverture à des domaines plus « universitaires » et « théoriques », souvent considérés à tort comme inutiles, et a fortiori quand ils ne se rattachent pas directement au « jeu vidéo ».
Cela commence par un besoin impératif de formation à la gestion de projets, une des plus grandes lacunes dans l’industrie du jeu vidéo, et de ne pas le faire d’un point de vue de chef de projet ou lead, puisque la majorité des étudiant‧es ne le seront jamais. Des écoles sensibilisent déjà à la planification et au suivi de production, afin d’apprendre aux étudiant‧es à gérer le temps de travail et analyser leurs capacités de production. Il faut étendre cette démarche, notamment pour apprendre aux étudiant·es à détecter les risques de basculement vers le crunch, et comment les prévenir, mais aussi pour que les futur‧es travailleur‧ses puissent comprendre les processus de production à l’œuvre en entreprise et identifier les sources des problèmes d’organisation. De plus, cela leur permettrait d’avoir une influence dessus, et donc d’améliorer leurs conditions de travail et de ne plus avoir à faire confiance aveuglément à leurs supérieur‧es et à leurs abus.
Pour aller plus loin, il est crucial de permettre aux étudiant‧es de développer leur esprit critique sur le jeu vidéo, les médias et les produits culturels dans leur ensemble. Le jeu vidéo est un des plus importants media au monde, il nécessaire que les personnes dont le métier sera d’en fabriquer puissent avoir accès à des connaissances qui leur permettront de manier son discours et ses utilisations :
- Des cours et formations critiques portant sur l’industrie du jeu vidéo, son état actuel et ses tendances futures, permettront de mieux appréhender les importants mouvements économiques et sociaux qui la traversent, et de se placer dedans.
- De manière complémentaire, des cours d’histoire de l’art, d’histoire du jeu vidéo, et même d’histoire du jeu, pourraient venir briser le mythe de l’exceptionnalisme de notre industrie, et exposer ses côtés les moins reluisants (notamment ses liens avec l’industrie de l’armement).
- L’ouverture à la recherche sur le jeu vidéo serait un point de départ important pour lever les barrières entre la production de jeu vidéo et les disciplines qui les étudient, et permettre une meilleure circulation et valorisation des connaissances qui font ce medium.
- L’analyse des médias et de leurs discours permettrait aux futur‧es créateur‧ices de mieux appréhender leur rôle et leur place dans la diffusion d’idées auprès du grand public. De même, des cours généraux sur la sociologie, la philosophie, l’économie, la politique, etc. pourraient avoir un impact positif sur le jeu vidéo en tant que medium. La compréhension des structures sociales dans lesquelles des créateur‧ices s’inscrivent ne peut qu’affiner l’appréhension et la conception des structures vidéoludiques produites.
Enfin, et cela nécessite un paragraphe à lui tout seul, il est crucial que les étudiant‧es soient formé·es au droit du travail. Les personnes qui sortent d’études et entrent sur le marché du travail, et cela ne se limite malheureusement pas qu’à l’industrie du jeu vidéo, méconnaissent leurs droits et les différents statuts de travail existants. Cela les rend vulnérables lors des négociations de leurs contrats, et retarde souvent leurs recours aux dispositifs légaux quand iels sont exposé·es à des abus, comme nous en faisons l’expérience encore trop souvent. Ne pas les renseigner sur ces droits ne sert que les entreprises et renforce la prédation sur les jeunes travailleur‧ses.
Le STJV intervient régulièrement dans les écoles et universités pour présenter les bases du droit du travail et informer sur le fonctionnement de l’industrie, mais cela est loin d’être suffisant. De manière générale, les organisations et professionnel‧les qui défendent et représentent les travailleur‧ses (avocat‧es, représentant‧es du personnel, syndicats, etc.) doivent avoir accès aux écoles et y donner des cours. À l’inverse, de tels cours ne doivent surtout pas être dispensés par des entrepreneur·ses, intervenant‧es de syndicats patronaux, etc. dont les intérêts matériels sont diamétralement opposés à ceux des travailleur‧ses.
Pour la même raison, il est également crucial que les entreprises et leurs organisations n’aient plus d’emprise sur les écoles, qui doivent cesser les partenariats qu’elles ont avec celles-ci. Les représentant‧es de lobbies patronaux et de studios, qui s’accaparent les interventions pour faire la publicité de l’industrie et leurs entreprises, vont jusqu’à mentir, répandre des fausses informations et camoufler les conditions de travail désastreuses qui y attendent les travailleur‧ses débutant‧es. Iels ne doivent plus être toléré·es. Encore plus nécessaire, il faut mettre fin aux partenariats entre les entreprises et les écoles pour les projets étudiants. Ceux-ci doivent être des exercices pédagogiques, au profit des étudiant‧es et non des entreprises ! Ils doivent donc être préparés par le corps enseignant de l’école. Si le but est de simuler une « commande client », cela peut tout à fait être réalisé sans pour autant avoir recours à des entreprises. Faire travailler les étudiant‧es pour une entité extérieure à l’école est au mieux une défaillance dans le processus pédagogique, au pire complètement illégal et relève du travail dissimulé (« au noir »).
Enfin, les cursus d’études qui demandent la validation de nombreux stages nuisent aux étudiant‧es, qu’iels suivent ledit cursus ou non, et à la qualité de leur propre enseignement. Quand les stages en viennent à remplacer un tiers, voire la moitié des semestres d’études, parfois dès la première année, la question de l’intérêt même de poursuivre ces études se pose par rapport au fait de chercher directement un emploi. Le nombre d’étudiant‧es cherchant un stage chaque année rend cette recherche si difficile, surtout pour les stages courts, que ceux-ci ne sont plus fait pour un quelconque intérêt pédagogique ou professionnel mais dans l’unique but de valider les années, coûte que coûte. Les entreprises n’arrangent pas la situation, l’extrême majorité d’entre elles cherchant à rentabiliser les stagiaires, ne se souciant aucunement de l’aspect pédagogique. Cela leur fournit une main d’œuvre fragilisée, abondante et quasiment gratuite pour se décharger de toutes sortes de besognes.
Il faut donc que les écoles réduisent le nombre de stages imposés dans leurs cursus, en supprimant en particulier les stages courts qui sont si difficiles à obtenir. Si, compte tenu de la quantité d’abus qu’elle entraîne, nous pensons qu’il faudrait purement et simplement supprimer la notion de stage telle qu’elle existe en France actuellement, nous comprenons qu’elle est une nécessité réelle pour les étudiant‧es afin d’espérer décrocher un emploi. Dans un tel cas, le STJV préconise de ne garder qu’un stage de fin d’études, comme outil de validation et d’application des connaissances acquises au cours de celles-ci en milieu professionnel. Ces stages longs, qui peuvent parfois déboucher sur une embauche, sont les seuls à pouvoir apporter quelque chose aux étudiant‧es que l’école ne peut pas elle-même. Réduire le nombre de stages permet également de faciliter pour les écoles la mise en place d’un réel projet pédagogique entre les étudiant‧es et les entreprises d’accueil, et le suivi qui va avec, ce qui fait actuellement défaut dans l’immense majorité des stages.