Plan et orientations du STJV pour améliorer durablement le jeu vidéo

Contexte

À plus de 50 ans, le jeu vidéo n’est pas une industrie « jeune ». Elle reste pourtant précaire, avec des conditions de travail d’un autre âge, et sous-évoluée, faute d’avoir accumulé et fait évoluer les connaissances. L’extrême majorité des patron·nes du jeu vidéo sont des clowns à l’ego surdimensionné, n’acceptant que le contrôle totalitaire et tentant vainement de cacher leur incompétence en traitant les travailleur‧ses et les consommateur‧ices comme des enfants stupides.

La crise que traverse l’industrie du jeu vidéo actuellement est entièrement due à ces patron‧nes mais, comme le capitalisme le permet, ce sont les travailleur·ses, celleux-là même sans qui les jeux n’existeraient pas, qui perdent leur travail.

Les crises sociales et licenciements se multiplient, de Don’t Nod à Artisan Studios en passant par Ubisoft, Leikir, Spiders, Goblinz… La liste ne fait que s’allonger et les témoignages de travailleur·ses en détresse se multiplient.

Nous avons identifié dans un premier article trois grandes catégories de problème qui gangrènent l’industrie :

  • Des conditions de travail inacceptables, où les discriminations prospèrent, empêchant les travailleur‧ses de pouvoir y faire réellement carrière ;
  • La généralisation de la désorganisation, où l’absence de stratégie impacte directement la santé des travailleur·ses, la stabilité des emplois et la qualité des productions ;
  • Une indifférence complète, quand ce n’est pas une hostilité assumée, des entreprises au sujet de la santé au travail et du handicap.

Depuis sa création en 2017, le STJV met en place de nombreuses actions pour soutenir les travailleur·ses et améliorer l’industrie : soutien juridique, moral et financier, représentation en entreprise, production de données, liens avec des institutions politiques et syndicats en France et dans le monde entier…

Si le STJV a ainsi pu hisser le jeu vidéo dans les rangs des industries privées les mieux syndiquées de France, le combat reste permanent.

C’est le propos de notre conférence de presse du 16 janvier, lors de laquelle nous avons présenté les orientations du syndicat pour les prochaines années. Nous les reproduisons dans cet article.

Informer les travailleur·ses

Dans le secteur du jeu vidéo comme dans beaucoup d’autres, le patronat cherche à méthodiquement déposséder les travailleur·ses de la connaissance de leur propre industrie : les problèmes courants, nos compétences et métiers, nos droits, etc. Le STJV souhaite proposer un réel plan d’action pour former massivement les travailleur·ses du jeu vidéo à la réalité de leur industrie.

Nous souhaitons :

  • Produire plus de chiffres sur les problèmes et les conditions de travail dans l’industrie du jeu vidéo afin de toujours plus les objectiver.
  • Établir un référentiel des métiers du jeu vidéo crédible, par et pour les travailleur‧ses, dans le but d’établir des fiches de postes claires et de lutter contre le flou voire la désinformation active sur nos compétences et métiers, qui nuisent à nos carrières et profitent au patronat.
  • Créer plus de documentation publique sur les droits des travailleur‧ses et les obligations des employeurs, pour lutter contre les abus du patronat et former les travailleur·ses du secteur. Les patron·nes y apprendraient elleux-mêmes beaucoup de choses.
  • Établir un état des lieux du travail indépendant (« freelance« ), de plus en plus commun dans le jeu vidéo, mais dont les statuts sont mal connus et peu documentés. Il relève trop souvent du salariat déguisé, privant les travailleur‧ses de la majorité des dispositifs de protection de l’État, tout en les exposant directement à la précarité.
  • Informer les étudiant·es qui doivent connaître à la fois leurs droits spécifiques, mais aussi être davantage formé·es au droit du travail et aux spécificités de notre industrie en tant que futur·es travailleur·ses du jeu vidéo.
  • Améliorer la formation des travailleur·ses, en leur permettant notamment d’utiliser les douze jours rémunérés de congés de formation économique, sociale, environnementale et syndicale auxquels iels ont droit chaque année.
  • Faire respecter la voix, l’information et la représentation des travailleur·ses. Les instances représentatives du personnel ne sont, encore aujourd’hui, pas respectées par le patronat qui bloque toute tentative de changement et d’amélioration, laissant les travailleur·ses dans le noir. Nous encourageons ces instances à poursuivre leurs entreprises dès que nécessaire et engagerons les moyens nécessaires pour les y aider.

Sensibiliser les pouvoirs publics

Longtemps uniquement représenté par des lobbies patronaux, le jeu vidéo est resté obscur pour les pouvoirs publics, permettant au patronat de se faire arroser d’argent public en continuant à violer les droits des travailleur·ses dans une impunité totale. Le STJV veut mettre définitivement fin à cette situation en montrant le vrai visage de l’industrie aux élu·es, au CNC, à l’inspection du travail… et à toute autre institution concernée.

Nous voulons :

  • Démontrer les intérêts stratégiques de l’industrie du jeu vidéo. Entre les technologies de pointes utilisables dans des domaines sensibles, le soft power qu’elle représente, et l’hégémonie de groupes et capitaux étrangers, les pouvoirs publics doivent s’intéresser au secteur.
  • Informer les élu·es et institutions sur l’état des conditions de travail et le non-respect de la loi généralisé dans le jeu vidéo, la précarité des emplois et carrières menaçant directement la production française de jeu vidéo et sa compétitivité internationale à court et moyen terme.
  • Informer les élu·es et institutions sur les aides publiques utilisées dans le secteur du jeu vidéo, leur répartition et leur utilisation réelle. Iels doivent pouvoir mesurer l’intérêt réel de ces aides et les travers de leur usage actuel, pour leur permettre de mieux cadrer leur action politique.
  • Informer les élu·es et institutions sur les filières d’études jeu vidéo, publiques et privées, dont beaucoup bénéficient d’aides publiques. L’hégémonie des grands groupes privées et leur influence sur les conditions d’études, où prix élevé, niveau d’enseignement médiocre et entretien d’omertas sont tout autant une menace pour l’industrie.

Réorganiser les productions de jeu vidéo

La désorganisation et l’absence de stratégie des entreprises, entretenues par l’incompétence ou la malveillance de nos patron·nes, sont les menaces principales sur la santé des travailleur·ses, les emplois, ainsi que sur la qualité et la diversité des productions. Si ces problèmes ne sont pas réglés, c’est l’existence même de l’industrie du jeu vidéo qui est menacée.

Nous lutterons pour :

  • Établir des principes communs de gestion de production sains et efficaces qui ne broient pas les travailleur·ses, stabilisent les emplois, et laissent place à la créativité, l’innovation et l’expression des travailleur·ses pour aboutir à des jeux de qualité fabriqués dans de bonnes conditions.
  • Imposer une hiérarchie la plus horizontale possible dans les entreprises. Intégrer directement les travailleur‧ses dans les prises de décision est une mesure nécessaire pour les emplois et la survie des entreprises. Les travailleur·ses ont prédit chaque échec commercial ou faillite ayant touché l’industrie ces dernières années et seule une hiérarchie dictatoriale refusant d’écouter leurs solutions a empêché de régler les problèmes à temps.
  • Mettre fin au culte de l’auteur·ice et permettre aux travailleur·ses de choisir à quoi leur travail contribue. Il s’agit d’une mesure démocratique, de salut culturel et de salut économique pour briser le cercle vicieux d’uniformisation actuelle des jeux. Les jeux sont le résultat complexe d’une collaboration entre travailleur·ses aux compétences très variées, pas de « génies » créatif‧ves qui n’existent pas.

Internationaliser les luttes

Tout comme de nombreuses industries, le jeu vidéo s’inscrit dans un contexte international qui influence directement le droit des travailleur·ses. Le dumping social est un exemple d’impact concret sur les emplois et les conditions de travail.

Internationaliste, le STJV a fait de cet axe un facteur essentiel de son action depuis sa création, que ce soit par l’échange de connaissances ou le soutien à des syndicats étrangers, y compris dans leur processus de création. Le développement du syndicalisme global dans le jeu vidéo nous permet d’envisager de faire encore plus.

Nous avons pour ambition de :

  • Mettre en place des actions communes avec des syndicats étrangers, dans un esprit de solidarité internationale pour aider les travailleur·ses du jeu vidéo à se syndiquer partout et pour lutter contre la mise en concurrence des travailleur·ses par les entreprises, notamment via l’outsourcing.
  • Informer et sensibiliser les syndicats étrangers et les institutions internationales sur l’industrie du jeu vidéo pour faire intervenir des échelons supérieurs dans la législation et à terme négocier des accords internationaux. Cela pourra passer notamment par un renforcement de notre présence au sein d’Uni Global Union, dont le STJV est membre depuis plusieurs années.

Créer et acquérir de nouveaux droits

Si nous en sommes encore loin sur beaucoup de sujets, les conditions de travail obsolètes de l’industrie du jeu vidéo ne s’amélioreront pas uniquement en respectant le minimum légal. Les travailleur‧ses du jeu vidéo, comme l’ensemble des travailleur‧ses, doivent pouvoir travailler dans des conditions dignes et obtenir la reconnaissance qu’iels méritent, pour ne pas perdre leur vie à la gagner.

En plus de la représentation de l’industrie auprès des institutions, nous allons utiliser tous les leviers d’action à notre dispositions pour :

  • Obtenir de nouveaux droits au niveau de la société entière, en faisant participer l’industrie du jeu vidéo aux actions interprofessionnelles qu’elles soient internationales, nationales, de branches proches du jeu vidéo… La diversité de notre industrie nous permet notamment de pouvoir jouer un rôle de liaison entre des industries comme, par exemple, le milieu de l’informatique et celui du cinéma d’animation.
  • Obtenir de nouveaux droits dans les entreprises, par la négociation d’accords d’entreprise et dans le but d’uniformiser autant que possible ces droits entre les entreprises et travailleur‧ses de l’industrie.

Nous allons d’abord nous concentrer sur les sujets d’urgence dans le jeu vidéo :

  • Le suivi et l’aménagement et la réduction du temps de travail, pour que la vie professionnelle ne vienne plus dévorer la vie tout court et empêcher au maximum les abus des entreprises sur le temps de travail.
  • Le handicap, pour que l’industrie du jeu vidéo devienne enfin accessible à tous‧tes, que les postes soient adaptés à chacun‧e, et faire reconnaître les handicaps répandus dans le jeu vidéo mais peu ou pas reconnus par l’État.
  • La santé physique, les maladies et accidents professionnels, et l’ergonomie. Les risques des métiers de bureau, en particulier les troubles musculo-squelettiques, neurologiques et visuels, doivent enfin être pris en compte et des solutions apportées pour que les travailleur‧ses puissent rester en bonne santé au-delà de quelques années de carrière.
  • Les risques psycho-sociaux, comme la dépression, le burnout et l’anxiété qui font des ravages parmi les travailleur‧ses du jeu vidéo à cause des conditions de travail désastreuses et qui restent systématiquement ignorés par les entreprises.
  • La violence des consommateur‧ices auxquelles sont exposés les travailleur‧ses du jeu vidéo, en particulier les équipes marketing en ligne, et dont les conséquences sont quasi universellement ignorées. Le STJV souhaite introduire la notion de protection fonctionnelle, existante dans la fonction publique, dans l’industrie.
  • Les mesures de protection d’urgence des travailleur‧ses, notamment par l’interruption des productions lors d’excès d’arrêts maladie dans un laps de temps court, signe de dysfonctionnement organisationnel grave mettant en danger les travailleur‧ses.
  • La rémunération des travailleur‧ses et en particulier, sous forme de primes contractuelles, le partage de la valeur produite par elleux lorsqu’un jeu est un succès commercial.

La grève générale

Nous savons d’expérience que nos patron‧nes, quelle que soit l’entreprise et bien qu’iels prétendent l’inverse, n’écoutent pas quand on leur demande normalement d’améliorer nos conditions de travail et nos carrières. Il est donc nécessaire de leur faire comprendre autrement que les travailleur‧ses, leurs droits et leurs conditions de travail ne sont pas de simples variables d’ajustement pour éponger leur incompétence.

Si le patronat a des moyens colossaux, car il utilise la valeur créée par les travailleur‧ses contre elleux-même, à coup d’avocat‧es, de cabinets de communication de crise et de conseil en répression syndicale, les travailleur‧ses ont pour elleux le nombre et la solidarité qui les relie.

Pour exiger que l’industrie devienne enfin mûre et stable, que les travailleur‧ses bénéficient de conditions de travail dignes et puissent avoir confiance dans l’avenir, le STJV appelle tous les travailleur‧ses à une grève générale du jeu vidéo le 13 février 2025.

Nous publierons un appel à la grève détaillé demain, vendredi 17 janvier 2025.

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