État des lieux de l’industrie du jeu vidéo : un cirque patronal

Il y a 7 ans, le STJV est né afin de répondre aux problèmes des travailleur·ses du jeu vidéo.

Depuis 5 ans, nos activités de représentation du personnel en entreprise et notre travail auprès des travailleur·ses indépendant·es vont en s’intensifiant et, depuis 2 ans, on assiste à leur explosion.

Aujourd’hui et malgré nos efforts et victoires, les conditions de travail au sein de l’industrie se sont dégradées à un point tel que tous les signaux d’alerte sont dans le rouge.

Notre état des lieux a identifié plusieurs points majeurs de blocage, associés à des problèmes auxquels il faudra remédier pour remettre l’industrie dans le droit chemin :

  • Les carrières et les discriminations
  • La désorganisation et l’absence de stratégie au sein des entreprises
  • Le mépris total pour la santé des travailleur·ses et la prévention des risques

La rupture conventionnelle comme plan de carrière

La reconversion comme objectif professionnel

Les problèmes commencent à l’école, avec des formations hors de prix, inadaptées et dangereuses pour la santé des étudiant‧es. Dans ces établissements où le népotisme est roi, on apprend la culture délétère du crunch, le tout sans se préparer à une entrée dans un monde du travail hyper-compétitif où il faudra se débrouiller malgré des salaires qui ne permettent pas toujours de vivre, et l’absence d’encadrement et de formation sur le terrain.

Pourquoi y a-t-il une majorité de jeunes dans l’industrie du jeu vidéo ? Parce que les seniors sont parti·es depuis longtemps. Les causes ? Rémunérations trop basses, contrats précaires, salariat déguisé, absence de développement de carrière, incompatibilité avec la vie de famille… En clair, non seulement c’est la grosse galère au début, mais en plus les conditions de travail n’évoluent pas vers un net positif avec le temps et l’expérience.

Et ça, c’est si on a la chance de ne pas subir de harcèlement moral et de discriminations. Des parcours de recrutement difficiles à la placardisation pour pousser à la démission, en passant par l’enfer ordinaire subi dans un climat sexiste, raciste, homophobe, transphobe et on en passe, l’industrie du jeu vidéo peut se transformer en fabrique de la destruction de l’estime de soi.

La désorganisation comme règle, le néant comme stratégie

« J’ai joué à un jeu ce weekend »

Dès leurs premières phases de développement, les jeux doivent affronter de multiples obstacles. Ils sont fabriqués malgré l’incompétence de la hiérarchie. Manque de connaissances sur le monde du jeu vidéo, priorité aux profits et à des demandes de productivité toujours plus élevées, invention de « solutions » sans consultation des expert·es, perméabilité aux dernières « modes » de l’industrie : voilà ce qui peut caractériser en bref les décideurs et décideuses du jeu vidéo.

En conséquence, les travailleur·ses ordinaires font face aux chimères de leur hiérarchie. Leur expertise n’étant pas reconnue, aucune confiance ne leur étant accordée, il ne leur reste qu’à s’adapter à des décisions au mieux maladroites mais souvent complètement stupides, ainsi qu’à une cohorte de top managers qui font perdre un temps précieux en maintenant des processus contre-productifs, en réunions et en micromanagement lourd et poussif. Incapables de produire un planning et un brief réalistes, sans parler d’un suivi efficace, iels sèment la confusion au détriment de l’organisation.

Quant aux directeurs et directrices créatives, c’est la loi du silence. Despotiques, intouchables, ces personnes jouent de leur ancienneté et de leurs relations pour agir à leur gré sans contestation possible de la part des travailleur·ses. C’est ainsi qu’on se retrouve à gâcher temps, argent et compétences en recommençant une production à plusieurs reprises, sur simple décision de la hiérarchie qui se contente de suivre les dernières tendances.

Malgré des décennies d’existence de cette industrie qui se considère encore « jeune », les estimations de production sont toujours totalement faussées par une vision court-termiste reposant sur le crunch obligatoire et la volonté d’épater la direction ou les éditeurs. À cela s’ajoutent des estimations de coût fantasques qui ne tiennent pas compte des réalités concrètes de la production d’un jeu. Et quand les résultats ou les estimations financières ne plaisent pas, on pourrit encore plus l’organisation des productions par des magouilles sur la comptabilité pour tromper actionnaires ou dirigeant·es, et pouvoir verser des primes et dividendes au patronat.

Le manque de communication et d’information sape également la qualité des jeux. À travers toutes les phases du développement, la division exagérée du travail isole les équipes les unes des autres, sans compter la proverbiale paranoïa de l’industrie qui force l’opacité sur les stratégies et la vision globale d’un projet ou d’une entreprise. Tout se fait en flux tendu et en vase clos, sans place pour le recul, la veille, l’autocritique ou l’expérimentation. Il n’y a donc pas de place pour l’innovation et la créativité, ce qui aboutit à des jeux médiocres.

À l’opposé, dans les nombreuses petites entreprises du secteur, on demande une polyvalence qui relève parfois du numéro d’équilibriste. S’il peut être compréhensible que de plus petites équipes ne soient pas aussi propices à des délimitations claires, cela revient très souvent à se dispenser des compétences requises (notamment sur l’assurance qualité ou la communication, mais aussi en demandant à cumuler des spécialités parfois bien éloignées comme le graphisme 2D et 3D) et d’espérer que quelqu’un dans l’équipe prenne à son compte la charge en question.

L’abandon comme politique de prévention

Burnouts, douleurs musculaires, corbeilles de fruit

Les problèmes évoqués ci-dessus n’affectent malheureusement pas que les jeux en eux-mêmes, mais aussi les personnes qui les produisent. Celles-ci se voient soumises à des conditions de travail délétères pour leur santé, mais ces problèmes sont systématiquement minimisés et invisibilisés.

Tout d’abord, les entreprises refusent de considérer le moindre problème comme systémique. Tout est affaire de responsabilité individuelle dans le mirage néolibéral, rendant impossible une véritable prise en charge et la mise en place d’une politique adéquate.

Au sein des entreprises, les instances représentatives du personnel sont réduites à l’impuissance, régulièrement entravées dans leur mandat par l’absence de documents, d’information, de consultation et l’irrespect de leurs prérogatives. Autre stratégie, certaines directions cherchent par tous les moyens à entraver la mise en place et le fonctionnement basique du CSE (en communiquant au strict minimum, voire pas du tout à ce sujet, ou en organisant des élections tôt, dans lesquelles les premières personnes employées par l’entreprise peuvent être les seules éligibles). Quant aux indépendant·es, iels sont soumis·es à la doctrine du marche ou crève, puisque la question de la santé au travail ne se pose tout simplement pas (aucun suivi, encadrement, législation).

Dans tous les cas, on ne peut jamais compter sur la prise en compte des accidents et des maladies professionnelles, et encore moins du handicap, qui sont niés et balayés sous le tapis. Seule la solidarité entre collègues peut parfois éviter le pire.

Les aménagements de poste et de carrière quant à eux sont soumis au bon vouloir du patronat, qui les considère comme un confort superflu. Outils ergonomiques, temps partiel et télétravail, par exemple, sont refusés par pure idéologie et autoritarisme.

En bref, il faut continuellement se battre pour obtenir le minimum légal, et la santé au travail est un luxe accessoire dont il faudrait s’estimer heureux·ses d’obtenir la moindre miette.

Face à ces problèmes, et face à l’état actuel de notre industrie que les patron‧nes semblent vouloir réduire à un champ de ruine, le STJV ne compte pas rester inactif…

… rendez-vous en 2025.

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