NFT dans les jeux vidéo : technologie délétère, bulle spéculative, tout est à jeter

Il y a beaucoup à dire sur les « crypto-monnaies » et les technologies affiliées, et beaucoup l’ont déjà fait, que cela soit sur la stabilité ou la centralisation du pouvoir (sur une technologie prétendument « décentralisée ») de ces systèmes. De même sur les NFT pour expliquer à quel point, en général, cette technologie est insensée. Ainsi, même si leur impact sur l’environnement pouvait par magie être réduit par une imaginaire nouvelle méthode de consensus, il y a largement de quoi remettre en cause ces technologies.

Mais restons dans le domaine du jeu vidéo, qui nous intéresse ici. Il y a une « ruée vers l’or virtuel » de beaucoup d’entreprises du jeu vidéo sur les NFT. Leurs annonces à ce propos sont souvent acclamées par des investisseurs et autres « crypto-enthousiastes » qui n’ont que très peu à voir avec le jeu vidéo (et ne semblent, du reste, pas y comprendre grand chose). Dans les jeux vidéo comme ailleurs, la seule raison pour laquelle on parle des NFT, ce n’est pas pour leur valeur intrinsèque, mais pour leur valeur marchande. En s’inspirant du marché de l’art et de ses très nombreuses dérives, cette technologie se place d’emblée sous des auspices peu favorables.

Q: Les NFT dans les jeux, pourquoi faire ? A: Rien

Pour résumer le contenu des liens ci-dessus, blockchain et NFT sont des technologies en recherche de problèmes à résoudre, plutôt que de résoudre des problèmes existants. C’est un très mauvais point de départ, allant complètement à l’encontre des concepts de design et d’ingénierie. Quand on n’a qu’un marteau, tout ressemble à un clou.

Cette situation est d’autant plus évidente et déplorable quand les propriétés tant vantées par les promoteurs de NFT dans les jeux sont déjà réalisables, et existent déjà, sans blockchain ni NFT. Sans surprise, ces usages sont déjà délétères même avec des technologies « conventionnelles ».

  • Des objets uniques, avec des propriétés diverses et variées ? Team Fortress 2 le fait depuis plus de 10 ans, avec échanges possibles au sein de la plateforme Steam.
  • Des objets qui s’échangent contre de l’argent réel ? Counter-Strike: Global Offensive a prouvé que c’était possible, non sans créer au passage un système de blanchiment d’argent.
  • Obtenir des objets « en échange » de son temps de jeu (play-to-earn) ? Les MMORPG et autres gacha games en ont fait leur raison d’être, bien avant qu’on parle de NFT.
  • Vous voulez les revendre ? Diablo 3 l’avait fait, avec les problèmes qu’on connait, Blizzard ayant fini par retirer cette fonctionnalité.
  • Vous voulez gagner de l’argent en proposant une expérience de jeu sur votre plateforme préférée ? Roblox le fait sans blockchain non plus, à condition de bien vouloir soutenir l’exploitation d’enfants, et la censure

Pire que ça : jusqu’ici, nous parlions des NFT « en théorie ». Mais, en pratique, les entreprises de jeux vidéo n’ont et n’auront aucune envie de fournir des NFT « clef en main » et libres d’usage. On peut par exemple voir dans les conditions d’usage de Quartz, les NFT à la sauce Ubisoft, que « vous n’avez pas le droit de modifier la Représentation Visuelle [du NFT] de quelque manière que ce soit […], d’utiliser la Représentation Visuelle [du NFT] dans des vidéos ou toute autre forme de média ». Preuve que, quoi que puisse prétendre le monstre français, l’usage de ces NFT ne vous appartient pas.

Au passage, on pourra aussi y noter cette formule extrêmement charitable : « Ubisoft n’est pas responsable envers vous ou envers un tiers pour toute réclamation ou tout dommage pouvant survenir à la suite de toute utilisation du réseau blockchain Tezos, des paiements ou des transactions que vous effectuez ». Autrement dit, bon courage s’il vous arrive un quelconque problème car Ubisoft ne vous aidera pas.

Un NFT est donc une référence à un objet utilisable dans un écosystème fermé, dont l’existence et l’utilité (et donc la valeur) restent subordonnées au bon vouloir de l’opérateur du-dit écosystème (l’entreprise qui édite le jeu). Pour qu’il soit utilisable n’importe où ailleurs, il faudrait non seulement l’accord de l’entreprise éditrice du NFT, mais aussi qu’une autre entreprise veuille bien l’intégrer dans ses jeux sans aucun gain notable pour elle.

Or, comme on le sait, les entreprises du jeu vidéo sont l’exact opposé de parangons de vertu ou d’œuvres désintéressées ; les rémunérations de leurs dirigeants suffisant à s’en convaincre. Vous avez pesté contre les lootboxes, les jeux « vendus en kit » avec des dizaines de DLC et autres season pass ? Ne croyez pas un seul instant que ces mêmes entreprises vous feront le moindre cadeau sur les NFT. Elles vous expliqueront juste que vous n’avez pas bien compris.

Pourquoi donc cet empressement à mettre des NFT dans les jeux ?

Les raisons qui mènent à intégrer cette technologie sont variées, mais évacuons tout de suite la plus évidente : il y a, depuis quelques temps, une bulle spéculative complètement déchaînée autour de « la blockchain » et des NFT. C’est la raison pour laquelle des entreprises n’ayant rien à voir avec ce champ technique se sont retrouvées à se vanter d’avoir « leurs » NFT, quitte à en essuyer les plâtres. C’est avant tout un effet de manche promotionnel des entreprises vis-à-vis des fonds d’investissements, une tentative pathétique d’appâter des personnes qui s’y connaissent encore moins techniquement que nos dirigeant‧es (ce qui ne doit pas toujours être facile à trouver).

La deuxième raison, plus fondamentalement vicieuse, est une financiarisation du jeu qui ne dit pas son nom. Introduire des NFT dans un jeu vidéo, c’est y permettre des échanges monétisés, en crypto-monnaies-de-singe, sans devoir en assumer les conséquences. En effet, en cas de problème de transaction, d’erreur, de vol ou d’arnaque, l’éditeur du jeu vidéo pourra se dédouaner de toute responsabilité en se réfugiant derrière l’argument « tout est dans la blockchain, le code ne ment pas ! ». Cela n’empêchera absolument pas ces mêmes éditeurs de promouvoir ce modèle « play-to-earn » et des possibilités fumeuses d’en retirer un bénéfice financier.

S’ils assumaient leur rôle de garant de ce marché, ce qu’ils sont factuellement, ces éditeurs devraient alors offrir les mêmes garanties que les banques, comme par exemple être en capacité de vous verser l’argent que vous stockez chez eux, assurer la validité et la traçabilité des transactions sur leurs plateformes. Étonnamment, les entreprises ne se bousculent pas au portillon quand il s’agit de mettre en jeu leur responsabilité et de déployer des garanties coûteuses !

Rareté artificielle, valeur illusoire

Ce sujet de la financiarisation est crucial. Nos vies de tous les jours sont sans cesse affectées par l’impact de marchés de moins en moins corrélés au monde réel. Que ce soit la crise des subprimes de 2008, les différentes bulles spéculatives (dont les crypto-monnaies pourraient très bien être la prochaine à éclater), les vies sacrifiées pendant la pandémie de COVID-19 au nom de la sacro-sainte économie : il est temps d’arrêter le massacre, dans les jeux vidéo comme ailleurs.

Il est naturel de voir le fonctionnement de l’économie, les profits proprement révoltants que font les plus riches alors que beaucoup tombent dans la pauvreté, et d’en conclure que ce système ne tourne pas rond. Mais la réponse et la solution ne consistent pas à se dire « en fait, ce qui manque, c’est la possibilité pour moi aussi d’exploiter les autres ». La solution n’est pas de reproduire la rareté du « monde réel » de façon purement artificielle dans nos espaces numériques, mais son exact opposé : amener l’abondance pour toutes et tous dans nos sociétés physiques.

Brisons nos (block)chaînes

Les NFT ne sont pas juste une mauvaise solution à un problème qui n’existe pas et que personne ne s’est réellement posé, ils sont aussi un symbole de plus de ce fonctionnement délétère d’économies tellement avides de profits qu’elles cherchent à monétiser l’inexistant. Ne tombons pas dans ce piège !

Le Syndicat des Travailleurs et Travailleuses du Jeu Vidéo, dont un des buts est d’extraire la production de jeu vidéo du cercle capitaliste infernal dans laquelle elle se trouve, s’oppose donc à l’utilisation de ces technologies dans le jeu vidéo. Il faut que les jeux vidéo cessent d’êtres des casinos permettant aux studios et éditeurs d’exploiter les plus fragiles et les plus jeunes d’entre nous. C’est une revendication qui vise autant à protéger notre capacité à produire des œuvres de qualité, qu’à protéger les joueuses et joueurs qui souhaitent prendre du plaisir en les découvrant.

Le STJV soutient néanmoins les travailleur‧ses forcé‧es par leurs entreprises de travailler sur ces technologies, ou leur équivalent déjà existant comme les lootbox, et soutiendra toute lutte visant à faire cesser leur utilisation. Vous n’êtes pas responsables de l’appétit financier insatiable de vos patron‧nes.

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