Avertissement : Au fil des articles présentés ici nous abordons des situations d’abus, harcèlements, agressions, suicide, etc. qui peuvent être violentes à la lecture pour des personnes qui en ont été victimes.
Les expériences de nos camarades du STJV, les témoignages et retours que le syndicat a eu directement, par les réseaux d’ancienn‧es élèves et des collègues professeur‧es, rendent évident le constat suivant : la filière d’enseignement du jeu vidéo est, dans son ensemble et de manière systémique, nocive et détruit des vies.
Un appel à témoignage public sur les conditions d’études lancé par le STJV début 2020 a permis de constater que le problème est bien plus répandu et surtout bien plus grave que ce que nous pensions à l’origine. Nous avons recueilli à date de publication une soixantaine de témoignages concernant plus de 30 écoles et formations, avec parmi elles les écoles les plus connues en France.
Le suicide d’un étudiant à LISAA en Décembre 2020, suivi d’une répression interne par l’école pour étouffer l’événement, nous avait poussé à accélérer nos efforts d’information sur cette situation, et notamment à contacter des journalistes pour les alerter sur ces questions. Grâce à notre contact et en se basant d’abord sur le corpus de témoignages à notre disposition, ils ont pu lancer leurs propres enquêtes pour confirmer nos informations puis publier des séries d’articles sur les écoles de jeu vidéo dans Libération et Gamekult (liens à la fin du communiqué) mi-Avril 2021.
L’aspect cool de la production de jeux vidéo, que les entreprises de l’industrie utilisent déjà pour garder les salaires et conditions de travail mauvaises, est aussi exploité par les écoles qui en profitent pour attirer toujours plus de jeunes prêt‧es à payer des sommes astronomiques pour essayer d’en faire leur métier.
Comme partout ailleurs, comme dans le reste de l’industrie du jeu vidéo, les mécanismes de domination économiques, hiérarchiques, sexistes, racistes, validistes, ainsi que la répression active des directions d’écoles tendent à empêcher toute amélioration de la situation et à réduire (au moins en apparence) les capacités d’actions des personnes qui souhaitent cette amélioration.
Ces mécanismes créent et accroissent les inégalités et discriminations dans l’industrie, et ce dès l’entrée des écoles avec sélections discriminatoires et prix exorbitants, qui ne font que s’accentuer au cours des études avec tous les leviers possibles : quasi-impossibilité d’avoir un job à côté des cours avec la charge de travail, rareté et mauvaise gestion des parcours en alternance, accès à du matériel très inégal, pression pour faire des stages dans n’importe quelle ville, non-rémunérés, etc. Les problèmes de diversité de l’industrie du jeu vidéo commencent dès les études.
La grande majorité des problèmes que nous avons constaté ont pour cause la marchandisation de l’enseignement et des étudiant‧es. Les écoles privées restent avant tout des entreprises : elles sont donc soumises à des impératifs de rentabilité. Cette rentabilité a plus ou moins d’importance selon qui possède l’école, avec dans les pires des cas des groupes ou fonds d’investissement qui ne traitent les écoles que comme des vaches à lait dont la rentabilité doit toujours augmenter au détriment des travailleur‧ses et étudiant‧es. Même les directions les mieux intentionnées (quand elles le sont !) ne peuvent échapper à cette réalité imposée par l’organisation capitaliste de l’économie.
Après près de 2 ans de travail au sein du STJV, nous revenons dans ce dossier fleuve sur les problèmes constatés dans les écoles de jeu vidéo, les choses auxquelles faire attention quand on veut étudier le jeu vidéo, et sur ce que nous pouvons faire et réclamer pour empêcher que des générations entières de personnes intéressées par notre industrie continuent à être saignées à blanc chaque année. Nous ne parlerons ici que du jeu vidéo car c’est notre secteur et que c’est là que nous avons le plus d’informations mais, à de rares exceptions près, tout cela s’applique pour l’ensemble de l’enseignement supérieur privé.
La taille de ce dossier nous oblige à le publier de manière fractionnée. Nous en publierons régulièrement les sous-parties, qui seront accessibles par les liens ci-dessous.
Partie 1 – État des lieux
- Les conditions d’études sont très souvent dégradées
- Les étudiant‧es sont exploité‧es au profit de l’image des écoles
- La qualité d’enseignement reste très discutable
- Les écoles ne préparent pas du tout à l’entrée sur le marché du travail
- Ces conditions assurent la reproduction des problèmes de l’industrie
- Les écoles se mettent au service de l’industrie, et non des étudiant‧es
Suites à tout nos échanges avec des professeur·es et étudiant·es, et aux témoignages que nous avons reçus, nous avons réalisé que ces problèmes n’étaient pas juste courants, mais systématiques. Si en commençant nos enquêtes nous pensions que moins une école était connue, plus elle se permettait des abus, il a fallu nous rendre à l’évidence : toutes les écoles et formations sont concernées.
Il nous est impossible, à ce jour, de citer une formation ou école privée qui n’a pas eu de graves dysfonctionnements ces dernières années. Point particulièrement glaçant : nous avons eu vent de situations de harcèlement ou carrément d’agressions sexuelles visant des étudiantes dans toutes les écoles et formations pour lesquelles nous avons recueilli des témoignages.
Si on peut dire que les formations privées semblent globalement plus concernées que les formations publiques, cela ne veut surtout pas dire que le public est épargné pour autant. Certaines formations publiques moins connues sont organisées comme le privé et, s’ils peuvent être différents, les enjeux de pouvoir problématiques existent partout, même dans les écoles publiques les plus prestigieuses.
Dans la plupart des cas ces problèmes émergent et persistent à cause de l’inaction des directions des écoles et/ou des groupes financiers qui les possèdent. Celles-ci refusent de se donner les moyens de protéger les étudiant·es par népotisme, opportunisme, soucis d’économie, manque d’empathie, ou aveuglement par rapport à la situation de leurs étudiant·es.
Partie 2 – Quels chemins prendre ?
On retrouve ainsi dans les études de jeu vidéo les problèmes et discriminations présents au niveau de la société toute entière, concentrés dans une série d’entre-sois formant une omerta, où toute expression de victimes et tentatives de lutte est durement réprimée. Si les milieux étudiant‧es y sont si propices, ce n’est pas qu’à cause de ses spécificités. Les causes de ces terribles situations ont les mêmes racines que celles que l’on retrouve dans le milieu du travail en général.
Elles sont d’abord économiques : les motivations financières des entreprises, auxquelles il est impossible d’échapper dans un système économique capitaliste, font passer la rentabilité de celles-ci avant les conditions de vie des étudiant‧es. Ce problème est renforcé depuis quelques années par un phénomène de création de monopoles dans l’enseignement supérieur privé, des groupes d’investissement de plus en plus gros absorbant les écoles indépendantes et plus petits groupes. Ce phénomène touche aussi, non sans coïncidence, le jeu vidéo et de nombreuses autres industries.
Ces motivations économiques impactent directement la dimension sociale de ces formations, où querelles de pouvoir et maintien par la force des rapports hiérarchiques sont plus que courant. Une véritable domination économique s’exerce sur les professeur‧es et les étudiant‧es.
Les problèmes décrits dans la première partie et leurs causes sont connues des organisations de travailleur‧ses et étudiant‧es, qui luttent contre depuis des siècles, mais aussi des entreprises elles-mêmes, qui savent les cacher ou les exploiter quand cela est à leur avantage, même si certaines semblent depuis peu chercher à y apporter de réelles solutions.
La fréquence et la gravité des problèmes rencontrés localement dépend d’un ensemble de facteurs, et les réactions des écoles varient grandement. Certaines d’entre-elles n’ont pas du tout pour but d’aider les élèves, et d’autres, bien intentionnées et parfois même bien conçues, ratent complètement leurs objectifs, mobilisent des moyens conséquents qui seraient bien mieux utilisés ailleurs, ou ont des effets secondaires néfastes.
Nous allons maintenant étudier les solutions proposées par ces différents acteurs, discuter de leur pertinence, exposer celles qui nous semblent les plus appropriées, et nous pencher sur ce que nous pouvons faire et réclamer pour empêcher que des générations entières de personnes intéressées par notre industrie continuent à être saignées à blanc chaque année.
- Beaucoup de solutions proposées sont des impasses ou des mensonges
- Pour avancer, des changements doivent avoir lieu à tous les niveaux
- Au niveau du contenu pédagogique
- à venir
- à venir
- à venir
Le dossier sera disponible aux format .pdf et .epub une fois publié en entier.
Les articles de Libération et Gamekult dont nous parlions en introduction sont disponibles ici :
- Libération 1/3 – Ecoles de jeu vidéo : «Je ne veux plus des humains, je veux des zombies»
- Libération 2/3 – Ecoles de jeu vidéo : «Tu ne peux pas gérer une team, t’es une femme»
- Libération 3/3 – Ecoles de jeu vidéo : «Il y a un amateurisme dingue»
- Gamekult 1/3 – Culture du crunch et détresse étudiante au sein des écoles de jeu vidéo : « Je ne sais toujours pas comment j’ai traversé ça »
- Gamekult 2/3 – Sexisme, harcèlement et « bro culture » au sein des écoles de jeu vidéo : « Moi, je me fais pas diriger par une fille »
- Gamekult 3/3 – Prédation des étudiants, précarisation enseignante et marché saturé : « On avait le sentiment d’être face à une pompe à fric »